Mois: janvier 2011

Plaidoyer pour l’élevage

Ce texte poursuit les réflexions de l’article La viande, l’élevage et l’avenir de l’Homme et de la planète, qui prenait le contrepied des arguments végétariens, et de l’article Pourquoi je suis omnivore, qui décrivait les arguments d’un régime (paléo-)omnivore.

Dans cet article, j’aimerais aborder la place de l’élevage dans une gestion agricole durable. Bien évidemment, je ne parle pas d’élevage industriel, et la suite de l’article devrait lever toute ambiguïté possible.

Tout d’abord, avant de faire des choix, il faut savoir contre quoi et pour quoi on se bat. Personnellement, je veux me battre contre l’effondrement écologique d’origine anthropique —  la perte de fertilité des sols; la pollution de l’eau, de l’air et de la terre; la disparition des espèces et des individus végétaux et animaux; le dérèglement climatique. Je veux concevoir et/ou populariser des modes de vies qui n’aggravent pas ces problèmes, et qui soient une partie de leurs solutions.

Parmi les principes de la permaculture, il y en a un qui stipule que « le problème est la solution », c’est à dire qu’il est plus intelligent de tirer partie d’une situation que de la combattre de front. Pour à peu près tout le monde, l’élevage industriel est un énorme problème notamment par la place qu’il occupe en superficie de terre arable. Si l’on pouvait rendre l’élevage durable, ne serait-ce pas possible d’améliorer énormément de choses avec peu de changements ?

J. Russel Smith, auteur de Tree Crops : A Permanent Agriculture, a été un  inspirateur de Bill Mollison (le terme « perma–culture » vient probablement de ce livre). Le combat de Smith se porte sur l’érosion des terres américaines qui servent à l’agriculture d’annuelles (coton, maïs). Pour lui, la solution est d’éviter les labours et donc d’utiliser des arbres. Mais l’espace américain est vaste, et une plantation massive d’arbres fruitiers va se heurter rapidement à un problème de « marché ». Comment faire pour que ces terres ne soient plus labourées ? Il faut une végétation permanente et il faut que les agriculteurs aient une raison de le faire (c’est à dire qu’ils puissent vivre de leurs terres et de leur travail). Smith propose alors de convertir les champs de maïs, qui sont destinés au bétail, en vergers fourragers. En effet les animaux permettent de contourner les limites économiques (saturation du marché rapide) et énergétiques (il faut une main-d’œuvre élevée pour ramasser les fruits, alors que les animaux récoltent eux-même leur nourriture). Sans compter que la logistique reste la même pour abattage, la conservation, la vente, etc., des animaux.

Le génie de cette solution, et qu’elle pourrait avoir un impact très rapide sur une grande partie du territoire, qu’elle ne fait pas appel à de grands changements sociétaux (comme un véganisme généralisé), et qu’elle ne requiert pas une révolution technique dans les fermes. En clair, c’est une solution pragmatique, qui s’adresse autant aux agriculteurs (qui sont les propriétaires des terres, et qui sont le moteur de changement sur ces vastes espaces, et dont la survie financière doit être préservée) qu’aux « écologistes ».

Bien sûr, on pourrait aussi se dire qu’une solution valable serait de passer à un régime vegan, de récupérer les terres ainsi dégagées, et de les rendre sauvage. Tout d’abord je voudrais insister sur la probabilité que cette seconde option se passe, par rapport à la première. Il faut une révolution alimentaire (surtout au pays du bacon et des hamburgers) et agraire. Pour le côté pragmatique, on repassera. Et nous n’avons pas forcément le temps d’attendre. Et comme le constate Smith, la culture du maïs est destructrice, et une fois la fertilité du sol évaporée, il faut faire des perfusions d’engrais minéraux. Une dépendance dont il faudrait mieux faire le deuil rapidement.

Les feuilles et les fruits du mûriers sont consommées par les cochons.

Le mûrier est un arbre formidable. Comme le note Smith, il est peu cher car facile à propager; il est facile à transplanter; il pousse rapidement; la mise à fruit est rapide; le fruit est riche en nutriments; l’arbre produit de manière régulière dans un large panel de conditions pédologiques et environnementales; il produit des fruits pendant une longue saison; l’arbre porte des fruits dans toutes les zones de sa frondaison, même celles qui sont ombragées; il peut produire même après avoir souffert du gel, la même année; le bois du tronc peut être utilisé pour des poteaux ou de la chauffe; il a peu ou pas de ravageurs et ne nécessite donc pas de traitements; le mûrier a été cultivé depuis longtemps, donc l’absence de ravageurs est plus due aux caractéristiques de l’arbre qu’à un état relativement sauvage.
C’est une source de nourriture qui fait rêvée, mais qui est accessible à peu d’occidentaux car cet arbre est le contraire d’un arbre adapté à la commercialisation (longue période de maturité, fruits qui tombent au sol, très salissants, peu de conservation, …). Par contre, elle est tout à fait adaptée à l’élevage des cochons. D’après les témoignages rapportés par de nombreux éleveurs (le livre a été écrit avant les années 50), un seul mûrier peut nourrir un porc pendant la saison de maturité des fruits, c’est à dire deux à trois mois d’été (soit 60 à 90 jours; pour donner une idée, la période d’abattage minimale en label rouge et AB étant de 180 jours) ! Si l’on rajoute aux avantages déjà cités, le fait que les mûres sont comestibles (ce qui permet une réorientation du fruit vers les humains lors d’un épisode de famine), qu’elles sont aussi consommées avidement par la volaille (possibilité d’élevage complémentaire), que les fruits tombent tout seuls (aucun frais de récolte, de transformation, de stockage), que les feuilles peuvent servir de fourrage à d’autres animaux domestiques et qu’elles tombent tardivement et pratiquement en quelques jours (ce qui facilite la récolte et offre un fourrage d’hiver) … on se rend compte du potentiel énorme d’un élevage utilisant peu d’énergie, de machinerie et de main d’œuvre.

C’est pour moi le principal avantage de l’élevage. Il est très difficile d’avoir un système qui à la fois se base sur des espèces pérennes (plantes vivaces, buissons, arbres, lianes…), demandent peu de main-d’œuvre, et pas de grosse machinerie. Les fruits et les noix demandent soit une énorme main-d’œuvre (principalement  pour la récolte), soit une machinerie (pour ramasser de manière automatique les noix et noisettes, par exemple) qui imposent des contraintes (rangées bien droites, sol rasé …).

l'"Air Potato", Dioscorea bulbifera

Bien sûr le mûrier ne peut pas nourrir à lui seul les porcs, mais il existe d’autres arbres fourragers. Smith cite le chêne, le châtaigner, le kaki qui eux aussi donnent des fruits consommés avidement par les porcs, et qui tombent tout seuls. Il y a bien d’autres systèmes à inventer. Les porcs fouissent à la recherche de tubercules. On peut leur apporter cette nourriture en plantant des pommes de terres, des topinambours, des patates douces dans leur enclos. Apparemment ils les replantent d’eux même en oubliant des petits bouts.Si ce n’est pas le cas, il suffira d’en planter dans des espaces protégés par des clôtures, pour qu’ils s’étendent chaque année à la portée des porcs, en suivant le principe du « sanctuaire« . En lisant le livre d’Eric Toensmeier, Perennial Vegetables: From Artichokes to Zuiki Taro, dans lequel il aborde le cas intéressant de l’hoffe (Dioscorea bulbifera) — peut être l’unique tubercule que l’on peut prélever sans perturber le sol —  j’ai pensé que cette plante pouvait servir de nourriture aux porcs. Elle combine plusieurs avantages : c’est une tubercule, donc elle est bien adaptée aux porcs; il s’agit d’une liane, donc qui produit vite et qui peut utiliser le support d’arbres déjà présents, et donc les rendre « productifs »; les tubercules tombent toutes seules à maturité, comme les mûres; la liane peut être protégée par une clôture, pérennisant la production sans autre intervention; la période de maturité est importante, 4 à 5 mois; le porc n’a pas à fouisser pour la manger, ce qui peut préserver le terrain de trop grandes perturbations. J’ai soumis l’idée à Eric Toensmeier, qui l’a trouvée pertinente, peut être une piste. Bref, je pense qu’élever des animaux de manière vraiment écologique est possible (par là, je n’entend pas qu’il y ait le moins d’impacts négatifs, mais que l’élevage permette d’améliorer la santé écologique des milieux, et la vie des populations alentours).

Bien sûr, je suis un néo-rural qui n’a pas encore mis la main à la pâte du cochon, donc je ne peux pas dire qu’élever des animaux est facile. Je devrais l’apprendre moi même, à l’échelle domestique ou en conseillant des agriculteurs sur les pratiques permacoles. Mais ce que je voulais faire passer comme message avec ce billet, c’est que la prochaine fois que vous entendrez parler de l’élevage comme d’une activité destructrice, j’aimerai que vous pensiez à un beau et grand mûrier, sous la chaleur d’un soleil d’été, et d’un cochon et de volaille se baladant insoucieusement sous son ombre, consommant les fruits juteux et sucrés tombant au sol. Alors, oui, battons-nous contre l’élevage industriel, contre l’élevage hors-sol, contre les maltraitances. Mais aussi, battons-nous contre les simplifications qui voudraient faire passer l’élevage comme une activité nuisible socialement et écologiquement, au risque de perdre un élément essentiel d’un futur soutenable. Et battons-nous pour la mise en place de systèmes permacoles, pour les végétaux et les animaux.

En changeant l’élevage, on peut à la fois offrir des solutions immédiates et applicables à grande échelle, dans le cadre de notre société industrielle (personnellement, je vois plus l’Aveyron couverte d’arbres fruitiers-fourragers que végane); mais aussi préparer l’avenir grâce à des systèmes permacoles d’auto-suffisance à petite échelle.

PS: bientôt, si j’ai les permissions de diffuser les images, je raconterais notre participation à l’abattage et/ou la découpe/transformation d’un cochon et d’une volaille.

La viande, l’élevage et l’avenir de l’Homme et de la planète

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Mon premier design pattern

Si vous vous intéressez à la permaculture, vous avez surement croisé le terme un peu barbare de design pattern. C’est un de ces — pas si rares — anglicismes  qui resteront faute d’une traduction appropriée (dans le langage informatique, on parle de patron ou modèle de conception, mais dans notre contexte l’expression n’est pas top à son aise) . Les design patterns ont été popularisés par l’architecte Christpher Alexander, pour qui « chaque patron décrit un problème qui se manifeste constamment dans notre environnement, et donc décrit le cœur de la solution à ce problème, d’une façon telle que l’on puisse réutiliser cette solution des millions de fois, sans jamais le faire deux fois de la même manière ».

Réfléchir en terme de patterns me semble important. Il s’agit avant tout d’observer les problèmes qui se posent et les solutions généralement apportées (par la nature, ou traditionnellement dans les sociétés humaines), pour pouvoir faire une généralisation (du problème comme de la solution) afin d’étendre la portée et l’application de la solution à d’autres cas. En poussant le raisonnement encore plus loin, on peut se demander quels problèmes sous-jacents ont pu être résolus (de manière parfois inconsciente) par certaines organisations (sociales, architecturales, etc).

Durant mes pérégrinations dans les documentations sur la permaculture, je me suis aperçu qu’un pattern revenait plusieurs fois (sans pour autant être formulé explicitement), et que je le trouvais assez pertinent. J’ai donc décidé de le formaliser, parce que je trouve cette forme élégante (selon moi, c’est l’équivalent scientifique de la poésie littéraire; et quand j’étais aspirant informaticien, j’étais ému par la beauté des design patterns adaptés à la programmation objet…).

Rien de révolutionnaire cela dit, d’autres l’ont surement déjà formalisé, et peut être qu’à sa lecture vous vous direz « tout ça pour ça » ? Mais le principal réside selon moi dans la façon de penser, et je pense que le design patterns peuvent nous aider à penser différemment grâce à leur forme, tout comme la poésie.

Pour ceux qui seraient intéressés par les design patterns, je recommande les livres A Pattern Language de Christopher Alexander, et Edible Forest Garden (vol. 2) de Dave Jack, qui présentent un ensemble de patterns relatifs aux villes, rue, maisons et aux forêts nourricières.

Cet « ensemble de patterns » est en fait construit de telle sorte que les patterns se fassent souvent référence entre eux, décrivant un véritable langage (pattern language) pour résoudre les problèmes du domaine étudié. J’aimerais accumuler toute sorte de pattern pour constituer un pattern language de la permaculture. Elle le mérite.

#1 Sanctuaire

Les ressources qui diminuent lorsqu’on les utilise* (par exemple une plante, ou de l’eau d’une réserve) sont très courantes, mais elles réclament cependant une attention particulière pour être utilisées de manière durable. Pour que le système tendent vers une autonomie maximale, on privilégie un accès libre ou une utilisation libre des ressources par les éléments qui en ont besoin.
Comment permettre cet accès ou cette utilisation libres tout en garantissant la pérennité de la ressource et des prélèvements ?

• Définissez un seuil d’état critique, dans l’espace et/ou le temps, au delà duquel la ressource ne peut pas se régénérer ou être régénérée • Mettez en place des restrictions d’utilisation, sur les plans physiques, éthiques, juridiques, etc., qui garantissent que la ressource ne dépasse pas son seuil critique • Élaborez un pattern d’utilisation dans l’espace et le temps en accord avec ces restrictions.

Le concept de zone 5 en permaculture est une mise en œuvre de ce pattern. Il créé une zone libre de toute intervention ou modification humaine, basée sur des principes éthiques, ou des protections physiques (clôture pour exclure le bétail se trouvant en zone 4). Le seuil critique est ici définie par le temps (protection permanente) et l’espace, qui varie suivant la fonction associée à cette zone 5, et la taille du système permaculturel.

Les systèmes permaculturels peuvent être vus comme des sanctuaires pour des espèces, des techniques ou des savoirs menacés, et doivent être protégés dans leurs utilisations futures par des restrictions juridiques (comme le démontrent les menaces juridiques qui pèsent contre les propriétés des pionniers Robert Hart et P.A. Yeomans).

Sur un plan plus technique, on peut offrir à du bétail l’accès à certaines plantes fourragères en protégeant le « cœur » de la plantation par des clôtures. Les animaux mangeront tout ce qui dépasse de la clôture ou qu’ils peuvent atteindre, mais la plante sera protégée de la destruction et pourra de nouveau s’étendre la saison suivante.

Des vieux bout de bois peuvent servi de sanctuaire pour les insectes et les plantes durant les périodes de sécheresse, procurant de l’eau directement, ou à travers un réseau mycorhizien.

L’holistic management est un exemple de restriction d’utilisation basée sur un pattern temporel et qui assure que l’herbe ne sera jamais sur-broutée. Cette gestion temporelle s’appuie sur une gestion fine et sur des protections physiques (clôtures)

* Voir « Permaculture Designers’ Manual » de Bill Mollison, p. 16 pour les autres types de ressources ainsi que des exemples.

Coup de gueule contre l’association végétarienne de France

Ça y est, je suis énervé.  En pleine recherche sur la façon de produire les ω3 nécessaires à notre organisme de manière permaculturelle, je tombe sur une page de l’association végétarienne de France consacrée aux ω3, et comble de la bonne fois, je me dis que je vais la lire car j’ai plutôt confiance en la connaissance des végétariens sur la façon d’obtenir ce qui leur faut nutritionnellement parlant.

Petite mise en contexte, je cherche les sources d’ω3 essentiels qui sont l’ALA, la DHA et l’EPA. Pour faire simple et un peu faux (mais ce sera rectifié dans la suite de l’article), les ALA se trouvent dans les végétaux, et les DHA et EPA (ω3 longues chaînes) dans les produits animaux d’origine marine.

Et là, c’est le drame. Je pensais tomber sur une page sur la nutrition concernant les végétariens, et il s’agit en fait tout autant d’une propagande pro-végétarienne / anti-omnivore. Extraits :

Que doit faire un végétarien ?
Il est illusoire de chercher des oméga-3 à longue chaîne, EPA et DHA, dans les sous-produits animaux. De façon naturelle, les produits laitiers n’en contiennent pas et un œuf de 50 g ne contient que 2 mg de DHA (il faudrait 60 œufs par jour pour atteindre l’apport recommandé).

Cette affirmation est soit fausse, soit mal formulée. En effet il existe des sous-produits animaux enrichis en ω3 (l’article en parle ensuite). La phrase est donc trompeuse, il faut lire « […] dans les sous-produits animaux non supplémentés en alimentation riche en ALA ». Ce qui n’est pas la même chose …

Je trouve ensuite l’exemple des 60 œufs parlant mais pas très judicieux. En effet tout le point de cet article est de dire qu’il suffit d’un apport suffisant en ALA d’origine végétale pour combler ses besoins en DHA et EPA. Dans ce cas, le fait que les oeufs contiennent un peu de DHA ne fait pas de mal, on ne demande pas aux œufs de remplir tous les besoins en ω3, et le colza, les noix et le lin (sources d’ALA) ne sont pas réservés aux végétariens.

La parade trouvée par l’industrie agro-alimentaire est d’enrichir les aliments pour animaux… en DHA d’origine marine, soit extraits des algues, soit concentrés dans des huiles de poisson. Ceci permet de retrouver du DHA dans les produits laitiers, au prix d’une perte énergétique considérable, à cause des étapes animales. Malgré cela, pour satisfaire la demande en produits animaux, cette voie est un sujet de recherche actuel et de nombreuses études sont publiées sur cette question.

Personnellement, je ne trouve pas que ce soit une « parade », dont la connotation n’est pas anodine dans un tel texte.

Le texte est incomplet car l’industrie utilise bien de la DHA (et EPA) d’origine marine (huile de poisson), mais aussi de l’ALA d’origine végétale (le lin donné à la volaille par exemple). Le texte mentionne le lait, qui est effectivement un très mauvais convertisseur d’ω3 (une suplémentation en lin n’augmente pas la teneur en DHA et EPA, et triple la teneur en ALA1), mais non pas à cause des « étapes animales », mais du caractère polygastrique de la vache. Les œufs ont mystérieusement disparus, alors qu’ils représentent le meilleur taux de conversion des ALA en ω3 longues chaînes : une supplémentation en lin de l’ordre de 5% donne des oeufs contenant 50 mg de DHA (l’EPA est quasi nulle), voir 200 mg de DHA pour 3 à 6% de l’alimentation en huile de poisson2. On en vient à respectivement 2,5  et 1 œuf pour combler les besoins journaliers en DHA (sans prendre en compte les autres sources …).

Pour revenir sur « l’étape animale » qui produit une « perte énergétique considérable » (argument classique), l’association végétarienne propose de combler les besoins en DHA et EPA par synthèse des ALA, soit … une « étape animale », obligatoire mais supportée dans un cas par les animaux domestiques, dans l’autre par les humains. Match nul.

Peut-on se fier au seul ALA ?
Si l’apport en oméga-3 est assuré à partir du seul ALA, la question se pose de savoir à quel taux il est converti dans l’organisme en acides gras à longue chaîne. Or, on trouve souvent mention du fait que le taux de conversion d’ALA en EPA/DHA est faible (quelques %), et cela soutient par voie de conséquence le discours sur la nécessité de consommer du poisson…
Quelques études apportent néanmoins un éclairage nouveau sur cette question, montrant que la conversion ALA – EPA/DHA est affectée par la quantité d’oméga-6 présents dans l’alimentation[4].

Passons sur le fait que les « quelques études » ne donnent lieu qu’à une citation, sans le titre de la publication.

Or, l’alimentation occidentale moyenne est surchargée en oméga-6 (l’autre catégorie d’acides gras essentiels), présents dans les huiles de tournesol ou de maïs, les aliments industriels, les viandes, œufs et produits laitiers, avec un rapport oméga-6/oméga-3 supérieur à 10 en moyenne en France[5], alors qu’il devrait se rapprocher de 1…Pour des études effectuées sur la population générale, il n’est donc pas étonnant que le taux de conversion ALA – EPA/DHA pose problème.

Par contre, une étude récente comparant des végétariens à des mangeurs de poissons a montré un taux de conversion supérieur de 22% chez les végétariens[6] (par rapport au groupe des mangeurs de poisson), ce qui ne peut guère étonner étant donné que la répartition des acides gras consommés est meilleure chez les végétariens.En conclusion, on peut se fier au seul apport en ALA dans la mesure où l’on privilégie une alimentation végétale, où l’on évite les produits industriels, et où l’on favorise les bonnes sources en oméga-3.

C’est là que j’ai commencé à être fin ennervé. Reprenons les arguments (ou ce qu’ils laissent supposer) de ce passage et des précédents : (a) le taux de conversion des ALA vers DHA et EPA est faible, (b) cela viendrait notamment d’une trop forte consommation d’ω6 (c) les végétariens ont une bien meilleure conversion des ALA que les mangeurs de poissons, (d) donc les végétariens peuvent se contenter des ALA, (e) les végétariens ont une bien meilleure conversion que la « population générale  » (déduit de (a) et (c)).

(a) Effectivement, selon un article3 qui cite des sources scientifiques (et en attendant que je trouve d’autres sources) les chiffres sont d’une efficacité de 4% pour la conversion de ALA vers DHA (25 parts d’ALA sont converties en une part de DHA), et monte à 12% pour la conversion d’ALA vers DHA+EPA (je ne sais pas trop ce que ça singifie). Une autre étude citée par l’article fait état d’une moins bonne efficacité (0.1% et 0.4% respectivement !).

(b) On consomme donc trop d’ω6, rien à redire.

(c) L’article cité en question n’a toujours pas de titre. Ce qui est génant pour chercher la référence … et encore plus gênant quand on tombe dessus. Je cite le titre de l’article, en ajoutant l’emphase : « Estimated conversion of α-linolenic acid to long chain n-3 polyunsaturated fatty acids is greater than expected in non fish-eating vegetarians and non fish-eating meat-eaters than in fish-eaters« . Les végétariens ne seraient donc pas une catégorie extraordinaire que l’association végétarienne voudrait nous faire croire ? Je n’ai pas les chiffres des augmentations respectives car je n’ai pas pu récupérer l’article, mais un minimum de rigueur scientifique aurait du inciter l’association végétarienne à citer ce fait et les chiffres associés. En l’absence de l’article, je m’avancerai même à une théorie : les mangeurs de poissons ont moins besoins de synthétiser de la DHA et de l’EPA, ils ont donc un moins grand besoin de cette synthèse, évolutivement parlant. Sans parler qu’une augmentation de 22% sur une efficacité de 4%, cela fait moins de 5% … (je vous laisse faire la calcul pour le chiffre de 0.1% …).

(e) 5% ou moins d’efficacité pour sythétiser l’ALA en DHA, est-ce suffisant pour qu’un végétarien se nourrisse uniquement d’ALA ? Rien n’est moins sûr … en tout cas vu la variation qu’il peut y avoir entre individus, je me méfierais de ces bons conseils si j’étais végétarien. Il existe des algues marines qui contiennent de la DHA et de l’EPA, je pense que c’est une solution plus sûre.

Assurer ses apports
On peut donc maintenant dire que 2 g d’ALA/jour sont suffisants pour assurer les apports en oméga-3. Une étude de septembre 2008 a montré qu’une supplémentation de moins de 2 g d’ALA « était suffisante pour accroitre significativement le contenu des globules rouges du sang en ALA, EPA et DHA » et que « la quantité d’ALA nécessaire pour obtenir cet effet est facilement atteignable dans la population générale par de simples modifications diététiques »[7].

Attention, il s’agit de 2 g pour obtenir des DHA et EPA par conversion, il faut rajouter les ALA dont notre corps à besoin (donc 4g en tout).
Je veux bien les lumières d’une personne du milieu, mais personnellement je ne déduis pas la même chose de l’étude citée (disponible ici). L’article parle d’une augmentation « significative », ce qui ne veut pas dire « grande » et encore moins « suffisante », mais seulement qu’elle est mesurable de manière significative (c’est à dire assez supérieur pour que l’on en déduise que c’est bien la prise d’ALA qui a provoqué une augmentation, et non pas une marge d’erreur). Sur les graphiques, ont voit bien que les groupes qui ont pris des suppléments d’huile de lien sont un peu au dessus du groupe contrôle, mais bien en dessous du groupe qui a pris des suppléments à base d’huile de poisson. Est-ce que cette hausse « significative » et néanmoins pas très impressionante signifie que les groupes ont pu synthétiser assez de DHA et d’EPA ? Aux végétariens de voir s’ils misent leur santé sur l’interprétation d’un terme.

Pour conclure, je trouve que cet article est loin d’être satisfaisant : sa crédibilité scientifique est mise en doute, ce qui est quelque chose de grave pour un article traitant de nutrition et qui peut avoir une incidence sur la santé des personnes qui adoptent ses préconisations. Il s’agit plus d’un article visant à orienter les personnes qui lisent l’article vers le végétarisme, ce qui est hors de propos pour un tel article.

Pourtant, on peut faire des articles complets sur la nutrition végétarienne/végétalienne, tout en gardant une impartialité scientifique, c’est à dire en présentant les avantages et les inconvénients de certains choix. A ce titre je recommande le blog Végébon.

 

Références

  1. La vérité sur les oméga-3,  Jean-Marie Bourre, p. 232.
  2. Omega-3 Fatty Acids in Metabolism, Health, and Nutrition and for Modified Animal Product Foods, D. L. Palmquist, Professional Animal Scientist 2009 25:207-249
  3. Conversion Efficiency of ALA to DHA in Humans.

Ishmael

Bonne année à tous !

en cadeau, je vous livre le fruit du travail de quelques passionnés des livres de Daniel Quinn, qui ont numérisé le livre Ishmael, qui n’est plus édité depuis des années et très difficile à trouver.

C’est sans doute le livre qui m’a le plus marqué, et le meilleur des livres non-techniques de ma bibliothèque. Lecture vivement recommandée !

Fichier PDF pour lecture à l’écran (326 p.)

Fichier PDF pour impression (100 p.)

Site internet de l’initiative.

« Professeur cherche élève souhaitant vraiment sauver le monde. » Un homme d’une trentaine d’années, cherchant, un sens à sa vie, répond à cette annonce et découvre que le professeur est un gorille nommé Ishmael. S’engage alors entre eux un dialogue socratique surprenant, drôle et profond, sur de grandes questions tout à la fois philosophiques, historiques et morales : comment le monde en est-il arrivé là au fil des siècles? Peut-on encore sauver la Terre et Mère Nature en dépit des dommages qui leur ont été infligés? Ishmael met en cause notre modèle de civilisation et notre notion du progrès. Il raconte comment l’histoire des hommes aurait pu être celle de toute la communauté du monde vivant. Alors surgit une question : le gorille une fois disparu, y aurat-il un espoir pour l’homme?

Lire la suite.