Reflexions

Pacte avec les doryphores

Extrait traduit par mes soins du livre « Landrace Gardening » de Joseph Lofthouse :

Les doryphores ne s’en prennent pas à mes pommes de terres, même si tous les deux sont communs dans mon jardin. Ces insectes vivent dans mon jardin tout au long de l’année. Je peux donc conclure un pacte sur plusieurs années avec eux. Je peux influer à la fois sur leurs gènes et sur leur culture. Mon contrat avec les doryphores se présente à peu près sous cette forme :

– Je n’utiliserai aucun poison dans mon jardin, et je n’harcèlerai aucun doryphore lié par ce pacte.

– Les doryphores peuvent manger les morelles vertes (solanum physalifolium) sauvages qui poussent spontanément dans mon jardin. Je ne toucherai pas les doryphores qui mangent uniquement ces plantes.

– Je laisserai cette plante sauvage pousser à certains endroits de mon jardin.

– Les doryphores trouvés sur une plante cultivée seront écrasés.

– Chaque plante cultivée qui attire de manière répétée des doryphores sera enlevée.

C’est en substance le contenu du pacte. Les doryphores mangent les mauvaises herbes. Ils laissent les légumes tranquilles. Cette stratégie ne pourrait pas fonctionner avec des insectes apportés par le vent. Elle marche avec les insectes qui vivent là toute l’année.

Une maman doryphore à tendance à pondre sur la même espèce que celle sur laquelle elle est née. Cela fait partie de la culture doryphore mentionnée précédemment. Les bébés doryphores grandissent et font ce qu’ils ont appris de leur mère. Il y a peut être une composante génétique qui s’auto-renforce car les doryphores ont tendance à préférer les mauvaises herbes du genre Solanum. Ceux qui mangent les légumes ont moins de chance de se reproduire.

Parfois, un plant de tomate ou de pomme de terre en particulier se fait envahir de manière répétée. Les doryphores responsables et la plante sont éliminés. Je ne veux pas faire pousser de légumes qui produisent des odeurs ou des textures qui désoriente les doryphores et brouille les termes du pacte. Je ne veux pas élever une génération de doryphore qui trouve les plantes cultivée à leur goût. Je fais de la sélection génétique sur les doryphores et sur les plantes, les encourageant à coexister pacifiquement.

Publicité

L’élevage, un outil pour un futur post-industriel

J’aimerais dans cet article résumer ce que j’ai pu écrire précédemment sur les avantages d’un certain type d’élevage, et rajouter quelques nouveaux éléments, pour la plupart empruntés au livre Meat, a Benign Extravagance de Simon Fairlie. Ce billet ne concerne pas le véganisme, mais comme je veux montrer l’intérêt et les conséquences de l’élevage, il est utile de voir ce qui se passerait dans un monde sans élevage.

Un autre élevage est possible (et il est déjà là, ailleurs)

Que se passerait-il si demain le monde devenait subitement vegan ? Beaucoup de choses, mais l’une est particulièrement intéressante, et déduite des chiffres de la FAO (encadré 5.1) : si le monde devenait subitement vegan,  il n’y aurait pas plus de protéines disponibles pour l’alimentation humaine au niveau mondial (1). Comment cela est-il possible, au regard des énormes quantités de maïs et de soja détournés par l’élevage ? Tout simplement parce que dans les pays non industrialisés, les pauvres nourrissent leurs vaches, leurs cochons, leurs volailles et leurs poissons avec de l’herbe, des déchets de cuisine ou de récoltes, des déjections d’autres animaux, etc. Et bien sûr enlever les animaux ne rendra pas l’herbe et les déchets consommables.

Le but n’est pas de faire des comptes d’apothicaire (2), mais de montrer qu’il y a une agriculture bien éloignée de notre vision industrielle, et qui permet aux plus pauvres de tirer subsistance de matières premières non consommables grâce à l’élevage. Le calcul de la FAO nous montre que la proportion de cet élevage n’est pas négligeable, car elle compensait en nombre de protéines l’énorme gâchis de l’élevage industriel en 1997.

Vache urbaine, Inde

Vache urbaine, Inde *

Cet élevage est nommé l’élevage par défaut (default land user strategy livestock) par la FAO, et est utilisé comme « moyen pour valoriser la biomasse des terrains marginaux, des résidus et des endroits interstitiels ». Il faut comprendre « par défaut » comme dans un « choix par défaut », à opposer à une stratégie active, qui dans le cadre de l’élevage revient  à entrer en compétition avec d’autres secteurs pour les denrées alimentaires.

Concrètement, l’élevage par défaut concerne les produits (viande, lait, œufs, peaux …) issus d’animaux de traction et des animaux nourris par : (a) les déchets de transformation de nourriture, (b) les résidus de culture, (c) la nourriture gâchée, (d) les déchets d’abattoirs, (e) les pâturages, (f) les surplus de céréales. L’élevage par défaut peut fournir une quantité non négligeable de viande à chaque être humain, même s’il ne rivalise pas avec les chiffres de consommation par tête des sociétés industrielles.

L’animal comme régulateur

Élevage de poule en permaculture (X)

Élevage de poule en permaculture (4)

L’élevage par défaut remplit une fonction très importante, celle de « tampon » concernant la production de céréales (3). Le marché des céréales pour la consommation humaine est très peu élastique, contrairement au marché de la viande qui peut absorber n’importe quel surplus de production dans une bonne année. Et les animaux peuvent restituer lors des mauvaises années ce qu’ils ont stocké pendant les bonnes. Dans le document précédemment cité, la FAO note que « durant les deux récentes crises alimentaires globales de 1974-75 et 1982-83, les réductions dans l’approvisionnement global de céréales ont été presque entièrement  absorbées par le secteur de l’élevage s’ajustant à l’augmentation des prix par une réduction de la production, une meilleure productivité, et l’utilisation de denrées non comestibles ». L’élevage permet donc de prévoir une marge de sécurité en semant plus de céréales que nécessaire, et le surplus est absorbé et « stocké » par l’élevage par défaut. L’autre alternative à l’utilisation de l’élevage comme tampon pour la production de céréales est l’utilisation de silos géants de stockage gérés de manière centralisée par l’État, solution choisie par la Chine.

Encore plus intéressant, les animaux peuvent être utilisés comme gardes fou d’une expansion non soutenable de la population humaine (5). Si l’élevage par défaut produit de la nourriture sans retirer quoique que ce soit de la bouche des plus pauvres, même certains aspects non efficients (conversion inférieure des denrées comestibles, place occupée …) de l’élevage peuvent être utilisés à bon escient. L’élevage, par son extravagance, atteint les limites de capacité des territoires considérés avant les populations humaines. Lorsque ce signal est donné (par un manque de place, des réserves au plus bas, etc) on peut alors réajuster en se séparant d’une partie des animaux d’élevage. Il est beaucoup plus difficile de contrôler une expansion non durable d’une population humaine basée sur des productions végétales ultra productives comme la pomme de terre. Et lorsqu’il est trop tard, le rééquilibrage passe par des guerres meurtrières, des famines et des épidémies. La recherche d’une efficacité maximale au détriment de la diversité peut avoir de très lourdes conséquences, comme l’a montré le cas irlandais. Les modalités d’une telle stratégie restent à trouver.

Les animaux servent de zone de régulation, et une pression trop forte de la population sur les récoltes ou le milieu peut être compensée par la « soupape » de l’élevage dont l’ampleur sera réajustée.

Élevages et paysages

Système sylvo-pastoral en Espagne, la dehesa

Système sylvo-pastoral en Espagne, la dehesa *

Les paysans et les paysannes font le pays, et les cultures ont un impact évident sur la région qu’on habite. Pour mieux se rendre compte de l’impact des animaux d’élevage, les projections en terme « d’allocation de territoire » de Fairlie, qui trace les scénarios  d’une Angleterre permaculturelle vegane, et permaculturelle avec élevage sont très intéressantes (6).

Sans surprise, la permaculture vegane est plus performante en terme de superficie, elle consommerait seulement 55% de la superficie du scénario avec élevage ! Mais si on y regarde plus précisément, la superficie des terres arables est sensiblement la même (7,9 M ha pour l’élevage contre 7,7 M ha pour le scénario vegan), car le scénario vegan s’appuie sur des engrais verts pour remplacer la fertilité apportée par les animaux et que les huiles végétales prennent beaucoup de place à produire (7). Finalement, l’élevage par défaut ne change pas fondamentalement l’utilisation du territoire au niveau des terres arables (même s’il diminue grandement les surfaces en cultures annuelles), mais sur les autres terres, incultes ou non cultivées, comme les forêts.

Quelle utilisation pour nos territoires ?

Quelle utilisation pour nos territoires ? (8)

L’élevage et ses pâturages permanents peuvent ici aussi jouer un rôle de « tampon », au niveau du paysage cette fois. Ils forment un gradient entre des systèmes très anthropiques et intensivement gérés comme les aires urbaines ou les terres arables, et des zones plus sauvages comme la forêt. Un gradient au niveau de l’intensité d’utilisation, les pâturages nécessitant peu de travail. Un gradient au niveau de la place laissée au sauvage, puisqu’ils sont bien moins vulnérables à la présence d’espèces sauvages que les terres cultivées et que les animaux sauvages ne sont pas à l’aise pour franchir de grands espaces ouverts. Et enfin un gradient au niveau de l’ouverture créée par le bocage, bien plus propice aux matchs de foot ou de frisbee improvisés, ou aux pic-niques que la forêt.

Si le gradient se referme brusquement avec la suppression des prairies, il est beaucoup plus complexe de gérer la proximité du « sauvage » et des dommages qui en résultent sur les cultures. Entourés par la forêt, les plantations de noyers ou de noisetiers se transforment en garde-manger géants pour écureuils !

L’animal à la ferme

Les animaux sont généralement présentés comme un poids, pour la société comme pour les fermes. Et c’est le cas quand l’élevage n’est considéré que comme une couche inefficace qui vient se greffer sur la production de céréales et d’oléagineux.

Intégration entre jardin, champ, canards, porcs et vaches

Intégration entre jardin, champ, canards, porcs et vaches au Vietnam *

Comme le note Fairlie, l’élevage par défaut correspond bien à la notion d’élevage en permaculture, où les animaux sont utilisés pour valoriser les déchets ou les denrées non consommables, mais également où les comportements instinctifs des animaux sont utilisés pour améliorer le système sans recourir à des machines et du pétrole.

Intégration des canards et du riz, Japon

Intégration des canards et du riz, Japon *

Les animaux ont depuis longtemps été utilisés dans les agro-écosystèmes dans lesquels ils excellaient, parce que ces derniers se rapprochaient de leur habitat naturel, par les services qu’ils rendaient, et par les nombreuses connexions qu’ils créaient. Les canards et les poissons sont par exemple combinés aux rizières en Asie (9). L’Europe a une grande tradition sylvo-pastorale, dans laquelle animaux, herbe et arbres entretiennent des relations vertueuses, comme dans les dehesa en Espagne.

Les animaux ne sont pas un fardeau pour ces fermes, mais un moyen d’utiliser au maximum les intrants et les productions au sein du système, de remplacer les produits de synthèse et les machines, d’augmenter la résilience, de diversifier et d’augmenter les revenus. Les animaux sont inefficaces si l’on a en tête le modèle de la pyramide trophique, dans laquelle chaque niveau  se développe sur un niveau inférieur beaucoup plus gros (on prend en général le rapport un pour dix, 1:10). Mais dans les faits, les relations au sein de la communauté du vivant sont des cycles. Plus il y a de cycles, et plus le système est stable et résilient, et les ressources sont utilisées pleinement. Enlever des éléments au système, comme les animaux d’élevages dans une ferme, rend le système plus rudimentaire, comme le montre les diagrammes ci-dessous.


Intégrations possibles dans une ferme végane (gauche) et avec élevage (droite) (8).

 

Et ce n’est pas par hasard si Bill Mollison a écrit, « les cycles dans la nature sont des voies divergentes du chemin menant vers les  impasses entropiques -la vie elle-même cycle les nutriments- permettant des opportunités de production, et ainsi des opportunités pour des espèces d’occuper des niches écologiques dans le temps » (10). Plus une ressources cycle, plus elle créé d’opportunités synonymes de diversité, d’efficience et de productivité.

L’intégration d’une espèce donnée à la ferme  sera en fonction de ces affinités avec l’agro-écosystème considéré (tableau, première partie) ou selon les services que peut remplir l’animal, comme tondre, débroussailler, labourer, désherber ou détruire les ravageurs (tableau, deuxième partie). Au niveau de la société, la place de l’élevage se fait en fonction des caractéristiques des espèces. Les espèces herbivores, particulièrement efficaces pour transformer l’herbe en nourriture et maintenir des espaces ouverts, seront à leur aise à la campagne. Les espèces au régime plus proche du notre, comme les poules et les cochons, seront placées plus près, à la périphérie des centres urbains  pour profiter des déchets d’abattoir, de récolte et de la nourriture gâchée, par exemple dans les points de restauration collective. J’ai évalué la performance supposée des espèces aux différentes catégories d’intrants alimentaires d’un élevage par défaut dans la troisième partie du tableau. Ce n’est qu’un guide général, et les herbivores peuvent pénétrer les centres urbains comme c’est le cas des vaches en Inde, et tous les animaux peuvent être intégrés efficacement dans les fermes ou dans les campagnes.

Vaches laitières Cochons Poules Canards / Oies Moutons
Relations bénéfiques aux (agro-)écosystèmes (11)
Jardins maraîchers
Petits-fruits
Vergers  
Pâturages  
Zones humides
Forêts
Fonctions écologiques sur la ferme (12)
Tondre et brouter Oui Oui Oui Oui Oui
Débroussailler Certaines races
Manger les insectes ravageurs Oui Canards
Labourer Oui Oui
Tondre seulement l’herbe Oies
Glaner les fruits au sol Oui Oui
Intégration dans un élevage par défaut
Pâturage ★(★)
Déchets de culture
Déchets d’abattoirs
Déchets de transformation
Nourriture gâchée
Surplus de céréales

★: Compatible; ★★: Bonne association; ★★★: Excellente association

Bien sûr, l’objectif n’est pas de continuer à produire les quantités astronomiques de viande que nous absorbons actuellement dans les sociétés industrielles. Le but est d’utiliser l’élevage pour ce qu’il apporte de mieux, comme les nombreux services à la ferme, le recyclage de matières premières qui quitteraient la chaîne alimentaire, la consolidation des fermes et des sociétés, et la production nette de nourriture.

(1) Livestock & the environment: Finding a balance, Cees de Haan, Henning Steinfeld, Harvey Blackburn (1997). Depuis la sortie de ce livre, l’industrialisation de l’agriculture en Chine a dû faire pencher la balance du côté du veganisme.

(2) D’autant plus que ça ne change rien au fait que si on donnait directement les céréales utilisées par l’élevage industriel aux populations humaines, plus de protéines et de calories seraient globalement disponibles.

(3) Meat, A Benign Extravagance, Simon Fairlie. Chapitre 10.

(4) Permaculture: A Designers’ Manual, Bill Mollison. Tagari, p.35.

(5) Fairlie cite l’exemple incroyable des tribus Maring de Nouvelle-Guinée, qui élèvent des cochons sans les tuer pendant 10-12 ans (3). Les cochons deviennent ingérables, ils épuisent les jardins et de nouveaux doivent être créés en brûlant des parcelles de forêt. Inévitablement l’expansion se heurte à celle des autres tribus Maring, les cochons deviennent un poids de plus en plus lourd dans l’économie, et ils provoquent de plus en plus de « d’accidents diplomatiques ». Jusqu’à la guerre soit déclarée entre tribus. Là, les tribus amies se réunissent en grands banquets pour déguster les innombrables porcs. Puis la guerre est consommée, il ne reste plus qu’un petit nombre de porcs, et le cycle continue. Cette stratégie étrange permet de limiter l’expansion de la population, un partage plus égalitaire de la nourriture (les femmes et les enfants de toutes les tribus peuvent consommer le porc pendant les cérémonies, mais seuls les hommes dont la tribu a déclaré la guerre et non ceux des clans amis invités, peuvent aussi en manger), et de favoriser les mariages entre tribus amies.

(6) Meat, A Benign Extravagance, Simon Fairlie. Chapitres 9 et 15. Le scénario est « en permaculture » car la nourriture, le fourrage, la fertilité, les fibres vestimentaires et l’énergie sont pris en compte, et que l’élevage considéré est celui par défaut. Le chapitre est une version légèrement remaniée d’un article publié dans The Land.

(7) De plus Fairlie note qu’il y a beaucoup plus de terres arables dévolues aux cultures annuelles dans le scénario vegan (93% des terres arables, contre 60% pour l’élevage). Ce qui peut poser des problèmes de fertilité du sol et d’érosion.

(8) Meat, A Benign Extravagance, Simon Fairlie. Chapitre 17.

(9) Voir le système Riz/canards mis en place par Takao Furuno au Japon. Les canards désherbent, mangent les insectes ravageurs, et fertilisent le riz. Les rizières offrent un habitat et de la nourriture aux canards, et les déchets du riz sont donnés aux canards.

(10) Permaculture: A Designers’ Manual, Bill Mollison. Tagari, p.23.

(11) Permaculture: A Designers’ Manual, Bill Mollison. Tagari, p.431.

(12) Integrating Livestock in the Food Forest, Eric Toensmeier.

Comment je suis tombé animiste

Comment je suis tombé animiste : L’animisme expliqué par Daniel Quinn, dans The Story Of B, extraits choisis et traduits :

– Ton Dieu écrit avec des mots. Les dieux dont je parle écrivent en galaxies et en systèmes stellaires et en planètes et en océans et en forêts et en baleines et en oiseaux et en moucherons.
– Et qu’est-ce qu’ils écrivent ?
– Eh bien, ils écrivent la physique et la chimie et l’astronomie et l’aérodynamique et la météorologie et la géologie

– Mais comme tu le verras, l’animisme est complètement compatible avec le savoir scientifique. Bien plus compatible que vos religions. […] L’animisme cherche la vérité dans l’univers, pas dans les livres, les révélations ou les autorités. Il en est de même pour la #science. Bien que l’animisme et la science lisent l’univers sous des angles différents, les deux ont une totale confiance dans leur véracité.
– Je vais commencer par le grand secret de la vie de l’animiste, Louis. Quand les autres personnes cherchent Dieu, tu les vois regarder automatiquement vers le ciel. Ils imaginent vraiment que, s’il y a un Dieu, il est loin, très loin— éloigné et intouchable. Je ne sais pas comment ils peuvent supporter de vivre avec un Dieu comme ça, Louis. Vraiment pas. Mais ce n’est pas notre problème. Je t’ai dis que, parmi les animistes sur cette planète, pas un seul ne peut te dire le nombre de dieux. Ils ne connaissent pas ce nombre et moi non plus. Je n’ai jamais rencontré ou entendu parler d’un seul qui se soucie de combien ils sont. Ce qui est important pour eux ce n’est pas combien ils sont, mais ils se trouvent. Si tu vas parmi les Alawa d’Australie ou les Bushmen d’Afrique ou les Navajo d’Amérique du Nord ou les Kreen-Akrore d’Amérique du Sud ou les Onabasulu de Nouvelle Guinée — ou n’importe quels autres parmis les centaines de tribus de chasseurs-cueilleurs que je pourrais nommer —  tu trouveras vite où sont les dieux. Les dieux sont ici.
Je ne veux pas dire , je ne veux pas dire ailleurs, mais ici. Parmi les Alawa : ici. Parmi les Bushmen : ici. Parmi les Navajo : ici. Parmi les Kreen-Akrore : ici. Ce n’est pas une affirmation théologique qu’ils proclament. Les Alawa ne disent pas aux Bushmen : « Vos dieux sont faux, les vrais dieux sont les notres. Les Kreen-Akrore ne disent pas aux Onabasulu : « Vous n’avez pas de dieux, _nous seuls_ avons des dieux. Rien de tel. Ils disent : « Notre lieu est sacré, comme aucun autre lieu dans le mode ». Ils ne penseraient jamais à regarder ailleurs pour trouver les dieux. Les dieux se trouvent parmi eux — vivant où ils vivent. Le dieu est ce qui anime leur lieu. C’est ce que le dieu est. Un dieu est une force étrange qui fait de chaque lieu un lieu — un lieu comme aucun autre dans le monde.

– Contrairement  au Dieu écrit avec une majuscule, nos dieux ne sont pas tout puissants, Louis. Peux-tu l’imaginer ? N’importe lequel peut être vaincu par un lance-flammes ou un bulldozer ou une bombe— réduit au silence, éloigné, affaibli. Assis-toi  au mileu d’un centre commercial à minuit, entouré par des centaines de mètres de béton dans toutes les directions, et là le dieu qui était naguère aussi fort qu’un buffle ou qu’un rhinocéros, est aussi faible qu’une mite gazée à la pyréthrine. Faible — mais pas mort, pas complètement éradiqué. Rase le centre commercial et détruit le béton, et en quelques jours, l’endroit va résonner de vie à nouveau. Il n’y a rien de plus à faire que de retirer les poisons. Le dieu sait comment s’occuper de ce lieu. Il ne sera plus jamais comme avant, mais rien ne reste indéfiniment comme avant. Il n’y a pas besoin que ce soit comme avant.

La patate indienne, une plante d’avenir pour les permaculteurs et les primitivistes

Qui mieux que la patate indienne Apios americana — pourrait concrétiser ce que j’ai pu écrire sur la permaculture ou le primitivisme ?

C’est avant tout un tubercule qui peut prétendre à fournir notre base de subsistance. Même s’il est important de faire pousser des légumes et des fruits dans son jardin pour nous apporter nutriments, vitamines et diversité, le plus important est de faire pousser sa base de subsistance pour ne plus dépendre de systèmes globaux et fragiles, le plus souvent basés sur des céréales annuelles avec les conséquences désastreuses que l’on connaît sur la santé et les sols. De ce côté là la patate indienne excelle, puisqu’elle fournit une bonne base énergétique et contient jusqu’à 16% de protéines, soit trois fois plus que les pommes de terre. Elle a l’énorme avantage d’être consommable crue, contrairement à la pomme de terre ou aux céréales, ce qui peut s’avérer vital dans certaines situations. Elle offre aussi une saveur neutre — qui serait entre la pomme de terre, la cacahuète et la patate douce — ce qui est toujours un avantage pour une base alimentaire. Outre ses tubercules, elle peut aussi produire des haricots hautement protéiques, mais cette production serait assez erratique et dépendrait de la génétique (caractère diploïque), de la variété et du climat.

Sa culture au jardin est également très intéressante. C’est tout d’abord une légumineuse, qui peut utiliser l’azote présent abondamment dans l’air pour sa propre croissance. Elle peut donc pousser dans des sols relativement peu fertiles, et est très vigoureuse car elle génère son propre engrais en quelque sorte. Elle serait également capable de supporter des sols assez humides, là où il serait difficile de faire pousser d’autres plantes pérennes. Du côté, agronomique, elle a tout pour faire rêver le permaculteur. Elle fait donc partie des rares plantes vivaces comestibles fixatrices d’azote. Elle peut se multiplier de manière végétative (se cloner) facilement par les tubercules. Elle ne connaît pas de maladies ou parasites sérieux. Elle est assez rustique pour rester dans le sol le nombre d’années que l’on veut. Elle peut même devenir envahissante !

Elle a quelques défauts mineurs, mais ces défauts de culture sont autant de qualités pour une culture post-industrielle primitiviste ! En effet, les tubercules des variétés non sélectionnées peuvent être assez petits. De plus la patate indienne met quelques années avant de s’implanter et de devenir luxuriante. Autant d’inconvénients qui en font un mauvais candidat pour une exploitation industrielle, car c’est une vivace qui ne se prête pas à une culture annualisée comme la pomme de terre. L’énorme avantage de la patate indienne est que l’on peut la stocker dans le sol, et la déterrer pour consommation à n’importe quel moment de l’année. Elle ne se stocke pas bien en dehors du sol, telle quelle, à moins d’être maintenue humide (sinon elle meurt) et au froid (sinon elle germe), dans du sable ou du terreau par exemple. Elle n’offre donc pas les qualités exceptionnelles de stockage et de densité nutritionnelle des céréales, ce qui en fait un mauvais candidat non seulement pour l’industrie, mais aussi pour la civilisation qui a besoin de pouvoir stocker, distribuer, saisir, protéger et taxer la base de subsistance du peuple. Les patates indiennes ne peuvent pas être brûlées comme un champs de céréales ou saisies par une armée en campagne. Elles ne peuvent pas être taxées sur la base d’une quantité ou d’une superficie cultivée. Par contre n’importe qui peut aller déterrer des tubercules n’importe quand pour les manger ou commencer une culture ailleurs.
Les patates indiennes peuvent cependant être séchées et réduites en poudre ce qui permet de concentrer et stocker la nourriture comme c’est le cas pour les céréales. Cela permet d’avoir un stock facilement utilisable à disposition. Ce processus très simple à réaliser pour n’importe qui disposant d’un four ou d’un feu, mais n’est toujours pas industrialisable car la culture de la patate indienne ne peut pas être rationalisée pour les raisons évoquées précédemment.

Toutes ces caractéristiques en font une plante de choix pour un futur post-industriel, avec une production plus locale et décentralisée, intégrée dans des systèmes cultivés complexes, reproductible et mouvante, insaisissable.

Permaculture Geek

Quand on est tombé (pas si) petit dans l’informatique, que l’on en a fait ses études, son passe-temps, son projet de carrière. Que l’on a fait commencé une thèse en informatique/mathématiques. Que l’on tombe sur la permaculture, et que l’on comprend qu’il y a des choses plus importantes. Eh bien ça donne de drôles d’hybridations.

Il y a environ dix minutes, je suis en train de me demander si je n’en fait pas trop. Je suis en train de réfléchir à un indice pour classer les espèces pérennes suivant leur potentiel à fournir les poules en protéines. Un indice qui serait la moyenne entre, d’une part, la moyenne des quantité d’acides aminés pour 100g (poids sec) ramenée entre 0 et 1 suivant le pourcentage d’apport journaliers nécessaires d’acides aminés nécessaires par poule et par jour (AJN), et l’écart type des pourcentages d’AJN des acides aminés. Hem. (j’explique l’intérêt de ce choix si y a des gens vraiment motivés …)

Le pire c’est que j’adore ça, sinon je n’aurais pas fait de recherche, ni d’informatique. Mais bon, j’en suis donc à me demander si ça sert vraiment à quelque chose, vu que les bouquins de permaculture donnent depuis 30 ans la liste des arbres intéressants pour les poules, et que peut être il n’y a pas à aller chercher beaucoup plus loin.

 

Mais, alors que j’ai trouvé dans un livre les fameux AJN d’acides aminés, le profil protéique du jus de murier (il m’a fallu des mois pour le trouver …), le ratio d’extraction de jus dans un article scientifique, j’ai l’illumination. Je vais pouvoir calculer avec précision le nombre de jours-poules (JP) d’un mûrier. Je laisse Bill Mollison expliquer cette notion, tirée de permaculture 2 :

Dans une gestion plus sophistiquée, nous exprimerons la valeur alimentaire de certains arbres et  de certaines plantes en termes de J.P.V. ou « jours de pâturage de volaille ». Par exemple, la  valeur d’une luzerne arborescente peut représenter 2,5 kg de graines, ce qui nourrirait une poule en pâture libre pendant une trentaine de jours. Déjà, Smith a constaté qu’un noyer noir à  maturité peut nourrir 8 poules pendant toute l’année, donc un seul arbre de cette espèce a une valeur de 365 X 8 = 2 920 J.P.V. Sur la base de ces équivalences, nous pouvons être  amenés à planter  préférenciellement des plantes de grande valeur, même si elles poussent plus  lentement.

Ce qui aurait pu sembler une perte de temps de geek scientifique obsédé par les chiffres, devient un élément pertinent de « haut niveau » pour concevoir des systèmes permacoles autour de la volaille. Je participe en quelque sorte à l’élaboration de cette « gestion plus sophistiquée » dont parle Mollison, et ça gonfle de fierté.

Donc d’après mes calculs, un mûrier irrigué fournit 5 à 8 JP, c’est à dire qu’un mûrier apporte assez d’acides aminés pour combler les besoins nutritionnels de 5-8 poules par jour ou d’une poules pendant une semaine. Dans le cas du mûrier, 1 JP = 2kg ou 500 g (poids sec), donc il s’agit plus de compléter un apport protéique naturel (insectes) qu’autre chose. Si les chiffres vous paraissent faibles, rappelez vous qu’il s’agit des acides aminés indispensables aux poules, ce qui est le critère le plus difficile à atteindre pour la volaille, l’indice est plus sophistiqué (ou restrictif) que celui de Mollison.

Bon, prenez pas ces calculs au pied de la lettre, par exemple je me suis trompé d’un  zéro dans la première version du calcul …

Et pour compenser la geekerie, j’ai des graines de muriers et de caragana en train de lever …

 

 

Lettre ouverte aux vegans

Nos poules

Certains d’entre vous se lassent peut être des nombreux articles parus sur ce blog concernant le végétarisme ou le veganisme, et jusqu’à il y a peu je ne comprenais pas vraiment pourquoi je m’intéresse autant à ce sujet. Mais je tiens peut être une piste, que je vous livre ici.

Tout d’abord, un des problèmes qu’il faut affronter pour parler aux vegans, c’est la multiplicité des approches, regroupée sous une même bannière. On peut distinguer plusieurs types de vegans :

* Ceux qui le sont par éthique animal, la majorité, parmi lesquels ceux :

– contre le spécisme ou la domination de l’humain sur l’animal non-humain

– contre la souffrance faite à un animal qui souffre (présence d’un système nerveux)

– contre le meurtre d’animaux sentients, ou qui veulent vivre

Les vegans ne sont pas dûpes, et ils savent que l’on doit tuer pour vivre, ou dans une formule qui les mettra plus à l’aise, des être vivants doivent mourir pour que l’on puisse vivre, aussi on trouve des définitions intermédiaires :

– Minimiser le nombre d’animaux tués

– Minimiser la souffrance animale

* Ceux qui le sont pour d’autres raisons. Ceux-là sont assez minoritaires, car le véganisme est assez radical, et si on est concerné par l’écologie ou la faim dans le monde, le végétarisme ou le flexitarisme sont beaucoup plus facile à gérer, et éventuellement plus pertinents (les produits animaux locaux pouvant facilement remplacer certains produits transformés d’origine lointaine).

* Ajoutons à cela une définition assez restrictive, puisque basée sur les conséquences, et non les réflexions qui y ont mené, qui stipule que les vegans sont des personnes qui n’utilisent pas de produits animaux (viande, oeufs, miel, cuir, …).

Et bien évidemment, il y a des vegans qui avancent les arguments de la dernière catégorie (écologie …) pour tenter de convertir les gens, tout en sachant que même si un style de vie vegan polluait plus, ce n’est pas ça qui est vraiment important.

Je me suis donc trouvé à parler à un véritable front mouvant, chacun de mes arguments étant balayé par d’autres considérations (la dernière étant, « on ne devrait pas tuer d’animaux, point »)

Et je crois que mon problème est dans cette multiplicité des définitions.

La dernière définition est pour moi dogmatique, « tu n’utiliseras point de produits animaux », puisqu’elle masque tout réflexion, et toute adaptation possible. Elle se rapproche des règles religieuses, peut être pertinentes suivant le contexte (pression démographique concernant le végétarisme en Inde, transmission de parasite concernant le porc au moyen orient …), mais le contexte peut changer.

Les vegans éthiques veulent donc arrêter la domination/le spécisme, ou minimiser la mort ou la souffrance. Je trouve que c’est un beau programme, parce que la domination, la mort et la souffrance ça n’appelle pas spécialement les gens.

Mon problème, c’est que si le veganisme c’est ça, je pourrais très bien me réclamer du véganisme, mais que les vegans m’en empêchent. Mon problème, c’est que les vegans ont fait un holdup sur la domination, la mort et la souffrance, et qu’ils réduisent la réflexion intellectuelle à leur solution, qui pour eux est forcément la meilleur. Mon problème, c’est aussi l’arrogance de beaucoup de vegans que j’ai pu rencontrer sur internet (heureusement quelques uns sortent du lot).

Voyons ça de plus près,

Premièrement, la domination ou le spécisme. C’est le cas le plus intéressant, et le plus dur à expliciter. Le veganisme n’est pas le seul courant à se réclamer de l’antispécisme ou du rejet de la domination, il y a un autre courant qui m’est cher, et qui est le primitivisme. Pour les primitivistes, la domination se cache dans la relation entre l’humain et la nature. Voir la nature comme un espace plat à raser pour planter sa récolte, et détruire tout ce qui (re)pousse et ne lui convient pas, c’est la base du problème. Comme dirait Daniel Quinn, on dénie la nourriture aux autres espèces, et on mène une guerre contre ce qui mange notre nourriture, ce qui entre en compétition avec notre nourriture, ou ce qui mange ou qui entre en compétition avec la nourriture de notre nourriture. Je parle ici bien sûr de l’agriculture (ager, le champ), qui a aussi apporté la domination généralisée de l’humain sur l’humain, en apportant civilisation, spécialisation du travail, hiérarchisation sociale et privatisation de la nourriture (ce n’est pas pour dire que tout était rose dans les sociétés primitives, mais elles étaient beaucoup plus égalitaires que les notres). Les primitivistes sont pour la majorité omnivores, et voient même d’un très bon œil la chasse, puisqu’il n’y a pas de domination, et manger des animaux que l’on a chassé localement reconnecte avec son milieu naturel (landbase en anglais). La domination se trouve dans un champ de céréales, qui sont des espèces annuelles nécessitant une perturbation annuelle du milieu pour prospérer (dans la nature, les céréales surgissent près des cours d’eau qui ont débordé et rasé la végétation existante, puis laissent rapidement la place à d’autres espèces). On voit qu’une même vision philosophique amène deux réponses très différentes, pour caricaturer, on a la viande d’un côté, et les céréales de l’autre.

Le cas de l’élevage (non industriel) est plus complexe que celui de la chasse (qui n’a pas d’avenir immédiat comme moyen de subsistance pour la masse d’humains que nous sommes). Tout d’abord il n’y a pas cette « rupture écologique », comme avec l’agriculture, puisque les prairies sont un écosystème à part entière, qui a évolué avec les ruminants. De plus, même l’argument écologique suprême, la succession écologique qui tendrait invariablement à des forêts caducifoliées par chez nous, peut être remis en question. Il s’agirait en fait d’un patchwork mouvant entre forêts et prairies, manœuvré par les herbivores et les buissons épineux. Mais ça nous laisse la domination directe de l’humain sur son animal domestique : on l’emprisonne, on l’exploite puis on le tue.

Tout d’abord, je n’aime pas le terme de domination dans ce cas, par parce que ça ne m’arrangerait pas, mais parce que je ne le trouve pas juste. Dans nos rapports aux animaux domestiques, je préfère parler de co-évolution. Nous avons transformés nos animaux domestiques tout comme ils nous ont transformés (par exemple génétiquement, comme la tolérance au lactose, culturellement, comme le passage de certains amérindiens de l’agriculture à la chasse avec l’arrivée du cheval). Nous leur avons offert une formidable promotion en terme d’évolution, pas en développant leurs mamelles ou leurs portées, mais en disséminant leurs gènes partout autour du monde. On me rétorquera que ça doit leur fait une belle jambe, mais ce n’est pas si anodin que cela, quand on regarde la théorie du gêne égoïste de Richard Dawkins. Nos génomes se seraient associés pour une superbe expansion, au détriment des autres espèces.

De plus, on peut se demander qui est l’esclave de l’autre, puisque l’humain prend en charge la sécurité, la nourriture, la santé de l’animal. Des extra-terrestres pourraient se demander qui a vraiment domestiqué l’autre. La encore c’est une relation gagnant-gagnant, puisqu’il y a échange de biens et de services de part et d’autre. Attention, il ne faut pas oublier que cela peut se faire au détriment des autres espèces, comme je l’ai rapporté plus tôt, il ne faut pas oublier la dérive de notre espèce et de ses alliés, qui monopolise les ressources et qui mènent les autres espèces et elles mêmes à leur perte, mais ceci concerne tout autant les espèces végétales.

Mais on ne peut pas oublier que l’on tue l’animal à la fin (même si l’on est végétarien, l’élevage devient vite un casse tête si des animaux ne sont pas tués). Alors que ces animaux nous ont tant apportés, ajoutent les végétariens et vegans. Abus de pouvoir caractérisé, domination sans borne ? J’ai ici du mal à expliquer ma position, puisqu’elle me parait moins que les autres basée sur des éléments rationnels, mais juste sur un point de morale. Oui ça ne me pose pas de problème idéologique, et je ne vois pas plus le mal à tuer un animal domestique qu’un animal sauvage. L’animal domestique m’a apporter produits et services, mais moi aussi, contrairement à ma relation avec l’animal sauvage. Toutes les espèces adaptent les stratégies de subsistances les plus efficaces possible, en terme d’énergie dépensée par énergie obtenue. Ne pas tuer les animaux domestiques serait beaucoup plus dispendieux. (aux vegans qui pourraient me rétorquer que l’alimentation vegane est encore plus efficace, je les renvoie au dernier billet, je leur demande de venir faire pousser des céréales sur mes pentes, et je réponds que non je ne crois pas). J’ai une approche purement utilitariste de la chose ? D’une part non, car je ne cherche pas à maximiser la production (par unité de surface par exemple) et le bien être animal m’est important, et ensuite je répondrais que le luxe de ne pas être efficace sur la nourriture est apparu très récemment, et va disparaitre dans peu de temps. Les vegans ont beau se targuer d’avoir une alimentation optimale, ça ne cache pas le fait que plus d’énergie est dépensée pour produire leur nourriture que ce que cette nourriture leur fournit (c’est pareil pour omnivores) …

Deuxième point, minimiser le nombre d’animaux tués. Ici, le compte est vite fait, 0 pour les vegans, et pour les omnivores, un paquet ! Ah non, pas si vite. Même les vegans savent (enfin presque tous) que le compte va au delà de l’assiette. Combien de limaces mortes dans les champs maraichers, combien de rongeurs dans les champs de blé. « On peut pas trop savoir, et il faut bien vivre, alors concentrons-nous sur ce qu’on peut voir, l’assiette ou la garde-robe, et faisons de notre mieux, c’est à dire aucun produit animal. Le veganisme est donc la meilleure méthode pour minimiser le nombre de tués ». Cet argumentaire bien rodé peut séduire, mais moi j’y vois une prémisse. La cause animale semble être prioritaire pour les vegans, mais ici il y a quand même des impondérables. Le vegan fait d’énormes efforts (je dirais sacrifice, car le veganisme doit être socialement dur à porter) mais dans certaines catégories, en excluant certaines autres. Ils sont imbattables en consommation, mais souvent cela s’arrête là.

J’ai interpellé les végétariens et vegans d’un forum francophone, pour leur dire ce qu’ils pensaient des limaces délibérément tuées par les maraichers (même bio), ou les rongeurs des champs de blé, ou par extension les vies qui ont disparues pour faire place nette à la civilisation (agriculture) industrielle (usine, ville, asphalte). Je n’ai reçu que des silences ou des critiques. Je venais faire mon malin, à pousser les végé à bout (dans le genre « si tu es seul dans le désert et que tu as ton chien et que tu crèves la dalle… »), alors que je mangeais allègrement mes bouts de cadavre pour mon plaisir gustatif.

Mais c’était une vraie question. Pourquoi si peu de vegans sont intéressés par la production. Ils s’y intéressent indirectement, en ne consommant qu’une partie du spectre alimentaire (ils ne contribuent pas à l’élevage industriel, et je les en félicite). Il s’intéressent au conditions d’élevages industriels au travers des vidéos sur internet. Mais concernant leur alimentation, c’est à peu près le néant. Alors que j’imagine qu’un vegan serait incollable sur la production de légumes, fruits, céréales, c’est tout le contraire. Certains ne savaient pas que l’on tuait les limaces en bio, j’imagine que la plupart ne sait pas qu’on peut utiliser du fumier d’élevage industriel en bio (après un temps de compostage minimum). Pourquoi les vegans, si promptes à se réunir, à l’action, à la revendication n’ont pas encore monté d’AMAP où la production serait vegane (pas de traction animale, pas de fertilisation animale, pas d’insecticide ?, pas de fongicide ?) ?

Qui cause le plus de morts, le vegan des villes qui mange bio ou le permaculteur des champs qui autoproduit ? Je ne dis pas, comme ça put être interprété par maladresse de ma part, que je suis mieux que les vegans (ça serait malvenu car mon autoproduction est quasi-nulle pour le moment). Mon point est tout autre, puisque je veux justement dire qu’il est très difficile de comparer différents mode de vie, et que les vegans sont d’une arrogance crasse quand ils prétendent être les seuls à manger « sans cruauté » ou « sans souffrance ». Pour certains, la souffrance d’un renard qu’on abat est insupportable, d’autant plus qu’on a détruit leurs espaces naturels, et qu’ils doivent donc se rapprocher des humains. J’ai délicatement fait remarquer que c’était facile d’être empathique envers les renards quand on n’en voit plus un seul, justement parce qu’on habite peut être un ancien habitat naturel du renard, recouvert de bitume. Tout ça pour dire que la forme de véganisme pratiquée actuellement est fortement contextualisée à : (a) des consommateurs et non des producteurs, (b) des urbains plus que des ruraux, (c) habitant dans une des plus puissantes nation industrielle, (d) dans une ère d’énergie abondante et de gaspillage sans précédent.

Quels sont les choix nécessaires, et ceux que l’on peut ne pas faire, sous prétexte qu’il faut bien vivre, et que c’est pas possible pour telle raison. Oui j’ai de la viande dans mon assiette, mais j’ai décidé d’arrêter d’être informaticien pour pouvoir être au maximum autosuffisant et contrôler ma nourriture, de telle façon qu’elle ne pollue, qu’elle colle au maximum à mon éthique (dans laquelle écraser des limaces est mal vue. Quel vegan peut me dire que mon mode de vie est plus destructeur que le sien ? Pourquoi ne pas déménager à la campagne et faire son potager, pour sauver toutes ces limaces ? Oui il y a des contraintes (boulot, famille), et ça se comprend, je ne veux pas que les vegans débarquent massivement à la campagne, juste qu’ils prennent conscience que la contextualisation est importante. Et qu’ils ne jugent pas ceux qui ont choisi une autre voie, pas inférieure, pas forcément supérieur, mais différente, parallèle, vers un même but. Pourquoi je ne serais pas considéré comme un vegan, puisque je tends à réduire le nombre de morts, de souffrance, de domination ? Je ne tiens pas à l’étiquette « vegan », mais je ne veux pas que le débat sur ces notions soit monopolisé par les vegans actuels. Si je tends à minimiser la mort et la souffrance, je peux facilement faire mieux en virant la viande de mon assiette me dira-t-on, mais non ce n’est pas si simple, mon système est imbriqué et l’élevage y joue une bonne part. ensuite je ne cherche pas à minimiser toutes les morts, juste à adapter mon alimentation à ma  morale. Et je ne trouve pas ça immoral de tuer des animaux pour les manger. Par contre je trouve ça immoral de tuer des animaux car ils ne cadrent pas avec nos priorités (je m’arrange avec ma morale pour le cas des moustiques …).

On m’a souvent dit que oui, à la limite mon système c’est bien joli, mais il faut regarder un peu la réalité en face. Les systèmes permacoles doivent se compter sur les doigts d’une main. Mais je pose la question aux vegans, ne voulez vous pas voir émerger cette forme de subsistance, qui a les mêmes aspirations, mais pas les mêmes chemins ? Si oui, il faudrait commencer à s’ouvrir à certaines alternatives où l’élevage est présent, sinon …

Troisième point, la souffrance. Je ne vais pas m’étendre la dessus, un élevage domestique ou à petite échelle peut très bien être sans souffrance ou presque. Nos poules ont une vie de rêve, elles pourraient très bien s’échapper par n’importe quel côté du terrain, mais festoient sur le compost, et gratte à droite à gauche. Elles sont nourries et logées, je leur ramasse des figues pourries. Le moment de la mort venue, ce sera très rapide et sans douleur. Un grand coup sur la tête, le noir, puis plus rien.

Tout ce pavé pour dire quoi ? C’est un appel aux vegans, pour qu’ils reconnaissent que d’autres formes, incluant l’élevage et la mort d’animaux peuvent se réclamer des mêmes aspirations que le veganisme, que le veganisme peut être une bonne réponse dans certains contextes mais pas le meilleur dans d’autres, et ne pas se leurrer sur leur propre impuissance tant qu’ils ne maitriserons pas directement ou indirectement la production de ce qu’ils consomment.

La viande, une extravagance sans gravité

MEAT, A Benign Extravagance est un livre écrit par Simon Fairlie, qui a le mérite de remettre certaines idées en place, et certains chiffres dans leur contexte.

Petit florilège des choses qui m’ont parues importantes, sur le mode « twitter » par manque de temps. Certains points vous sembleront peut être farfelues sans plus de détails, je vous invite à lire le livre que je recommande chaudement.

• Si le monde se mettait soudainement à un régime vegan, il n’y aurait pas plus de protéines disponibles. Cela vient du fait que dans les pays non industrialisés les animaux recyclent des denrées non comestibles (résidus de culture, déchets de préparation …). Source FAO (97).

• Les fameux 100 000 litres d’eau utilisés pour produire un kg de viande sont en fait l’eau de pluie qui tombe sur le champ où pousse le foin mangé par la vache.

• Un mode de culture permaculturel vegan peut subvenir aux besoins de 8 personnes sur un hectare de terre arable, alors que la version avec des animaux a besoin de 0,8 ha supplémentaires pour 7,5 personnes. Le régime vegan est donc deux fois plus efficace en terme de superficie.Cependant, l’agriculture vegan contient 64% de cultures annuelles (à opposer à pérennes) de plus que la culture omnivore. Les deux régimes nécessitent également autant de terres arables (c’est à dire que le régime vegan économise surtout des pâtures, qui ne peuvent pas forcément être utilisées pour faire pousser d’autres choses).

• Souvent « viande » = « Bœuf élevé aux USA nourri avec des céréales ou fourrages irrigués »

• Un élevage conduit de manière inefficiente et extravagante (c’est à dire des animaux nourris avec de la nourriture comestible aux humains) atteint les limites écologiques avant qu’il y ait une surpopulation humaine, et ainsi servir de tampon en évitant des conflits plus meurtriers.

• La marché des céréales pour la consommation humaine est très rigide, alors que l’élevage permet de rajouter un débouché en cas de surplus. La consommation de viande est très élastique, et sert donc de « banque » permettant de stocker les surplus de grains, et de faire face aux pénuries. Le fermier peut semer avec confiance des céréales, sachant qu’il y aura toujours un débouché, quelque soit le résultat.

• Si l’on considère un élevage qui ne monopolise pas les ressources disponibles pour les humains,  nourri avec les déchets des transformations alimentaires, les résidus de culture, la nourriture jetée, les déchets d’abattoirs et les patures, on obtient entre 1/3 et 2/3 de la production mondiale en terme de volume. Si l’on prend la moitié, cela revient à à peu près 20 kg de viande et 40 kg de fromage pour chaque personne et par an. Si on prend en compte les surplus de production de céréales les bonnes années, cela ajoute 10-15 kg.  Pour information la moyenne française de consommation annuelle est autour des 100 kg.

Plaidoyer pour l’élevage

Ce texte poursuit les réflexions de l’article La viande, l’élevage et l’avenir de l’Homme et de la planète, qui prenait le contrepied des arguments végétariens, et de l’article Pourquoi je suis omnivore, qui décrivait les arguments d’un régime (paléo-)omnivore.

Dans cet article, j’aimerais aborder la place de l’élevage dans une gestion agricole durable. Bien évidemment, je ne parle pas d’élevage industriel, et la suite de l’article devrait lever toute ambiguïté possible.

Tout d’abord, avant de faire des choix, il faut savoir contre quoi et pour quoi on se bat. Personnellement, je veux me battre contre l’effondrement écologique d’origine anthropique —  la perte de fertilité des sols; la pollution de l’eau, de l’air et de la terre; la disparition des espèces et des individus végétaux et animaux; le dérèglement climatique. Je veux concevoir et/ou populariser des modes de vies qui n’aggravent pas ces problèmes, et qui soient une partie de leurs solutions.

Parmi les principes de la permaculture, il y en a un qui stipule que « le problème est la solution », c’est à dire qu’il est plus intelligent de tirer partie d’une situation que de la combattre de front. Pour à peu près tout le monde, l’élevage industriel est un énorme problème notamment par la place qu’il occupe en superficie de terre arable. Si l’on pouvait rendre l’élevage durable, ne serait-ce pas possible d’améliorer énormément de choses avec peu de changements ?

J. Russel Smith, auteur de Tree Crops : A Permanent Agriculture, a été un  inspirateur de Bill Mollison (le terme « perma–culture » vient probablement de ce livre). Le combat de Smith se porte sur l’érosion des terres américaines qui servent à l’agriculture d’annuelles (coton, maïs). Pour lui, la solution est d’éviter les labours et donc d’utiliser des arbres. Mais l’espace américain est vaste, et une plantation massive d’arbres fruitiers va se heurter rapidement à un problème de « marché ». Comment faire pour que ces terres ne soient plus labourées ? Il faut une végétation permanente et il faut que les agriculteurs aient une raison de le faire (c’est à dire qu’ils puissent vivre de leurs terres et de leur travail). Smith propose alors de convertir les champs de maïs, qui sont destinés au bétail, en vergers fourragers. En effet les animaux permettent de contourner les limites économiques (saturation du marché rapide) et énergétiques (il faut une main-d’œuvre élevée pour ramasser les fruits, alors que les animaux récoltent eux-même leur nourriture). Sans compter que la logistique reste la même pour abattage, la conservation, la vente, etc., des animaux.

Le génie de cette solution, et qu’elle pourrait avoir un impact très rapide sur une grande partie du territoire, qu’elle ne fait pas appel à de grands changements sociétaux (comme un véganisme généralisé), et qu’elle ne requiert pas une révolution technique dans les fermes. En clair, c’est une solution pragmatique, qui s’adresse autant aux agriculteurs (qui sont les propriétaires des terres, et qui sont le moteur de changement sur ces vastes espaces, et dont la survie financière doit être préservée) qu’aux « écologistes ».

Bien sûr, on pourrait aussi se dire qu’une solution valable serait de passer à un régime vegan, de récupérer les terres ainsi dégagées, et de les rendre sauvage. Tout d’abord je voudrais insister sur la probabilité que cette seconde option se passe, par rapport à la première. Il faut une révolution alimentaire (surtout au pays du bacon et des hamburgers) et agraire. Pour le côté pragmatique, on repassera. Et nous n’avons pas forcément le temps d’attendre. Et comme le constate Smith, la culture du maïs est destructrice, et une fois la fertilité du sol évaporée, il faut faire des perfusions d’engrais minéraux. Une dépendance dont il faudrait mieux faire le deuil rapidement.

Les feuilles et les fruits du mûriers sont consommées par les cochons.

Le mûrier est un arbre formidable. Comme le note Smith, il est peu cher car facile à propager; il est facile à transplanter; il pousse rapidement; la mise à fruit est rapide; le fruit est riche en nutriments; l’arbre produit de manière régulière dans un large panel de conditions pédologiques et environnementales; il produit des fruits pendant une longue saison; l’arbre porte des fruits dans toutes les zones de sa frondaison, même celles qui sont ombragées; il peut produire même après avoir souffert du gel, la même année; le bois du tronc peut être utilisé pour des poteaux ou de la chauffe; il a peu ou pas de ravageurs et ne nécessite donc pas de traitements; le mûrier a été cultivé depuis longtemps, donc l’absence de ravageurs est plus due aux caractéristiques de l’arbre qu’à un état relativement sauvage.
C’est une source de nourriture qui fait rêvée, mais qui est accessible à peu d’occidentaux car cet arbre est le contraire d’un arbre adapté à la commercialisation (longue période de maturité, fruits qui tombent au sol, très salissants, peu de conservation, …). Par contre, elle est tout à fait adaptée à l’élevage des cochons. D’après les témoignages rapportés par de nombreux éleveurs (le livre a été écrit avant les années 50), un seul mûrier peut nourrir un porc pendant la saison de maturité des fruits, c’est à dire deux à trois mois d’été (soit 60 à 90 jours; pour donner une idée, la période d’abattage minimale en label rouge et AB étant de 180 jours) ! Si l’on rajoute aux avantages déjà cités, le fait que les mûres sont comestibles (ce qui permet une réorientation du fruit vers les humains lors d’un épisode de famine), qu’elles sont aussi consommées avidement par la volaille (possibilité d’élevage complémentaire), que les fruits tombent tout seuls (aucun frais de récolte, de transformation, de stockage), que les feuilles peuvent servir de fourrage à d’autres animaux domestiques et qu’elles tombent tardivement et pratiquement en quelques jours (ce qui facilite la récolte et offre un fourrage d’hiver) … on se rend compte du potentiel énorme d’un élevage utilisant peu d’énergie, de machinerie et de main d’œuvre.

C’est pour moi le principal avantage de l’élevage. Il est très difficile d’avoir un système qui à la fois se base sur des espèces pérennes (plantes vivaces, buissons, arbres, lianes…), demandent peu de main-d’œuvre, et pas de grosse machinerie. Les fruits et les noix demandent soit une énorme main-d’œuvre (principalement  pour la récolte), soit une machinerie (pour ramasser de manière automatique les noix et noisettes, par exemple) qui imposent des contraintes (rangées bien droites, sol rasé …).

l'"Air Potato", Dioscorea bulbifera

Bien sûr le mûrier ne peut pas nourrir à lui seul les porcs, mais il existe d’autres arbres fourragers. Smith cite le chêne, le châtaigner, le kaki qui eux aussi donnent des fruits consommés avidement par les porcs, et qui tombent tout seuls. Il y a bien d’autres systèmes à inventer. Les porcs fouissent à la recherche de tubercules. On peut leur apporter cette nourriture en plantant des pommes de terres, des topinambours, des patates douces dans leur enclos. Apparemment ils les replantent d’eux même en oubliant des petits bouts.Si ce n’est pas le cas, il suffira d’en planter dans des espaces protégés par des clôtures, pour qu’ils s’étendent chaque année à la portée des porcs, en suivant le principe du « sanctuaire« . En lisant le livre d’Eric Toensmeier, Perennial Vegetables: From Artichokes to Zuiki Taro, dans lequel il aborde le cas intéressant de l’hoffe (Dioscorea bulbifera) — peut être l’unique tubercule que l’on peut prélever sans perturber le sol —  j’ai pensé que cette plante pouvait servir de nourriture aux porcs. Elle combine plusieurs avantages : c’est une tubercule, donc elle est bien adaptée aux porcs; il s’agit d’une liane, donc qui produit vite et qui peut utiliser le support d’arbres déjà présents, et donc les rendre « productifs »; les tubercules tombent toutes seules à maturité, comme les mûres; la liane peut être protégée par une clôture, pérennisant la production sans autre intervention; la période de maturité est importante, 4 à 5 mois; le porc n’a pas à fouisser pour la manger, ce qui peut préserver le terrain de trop grandes perturbations. J’ai soumis l’idée à Eric Toensmeier, qui l’a trouvée pertinente, peut être une piste. Bref, je pense qu’élever des animaux de manière vraiment écologique est possible (par là, je n’entend pas qu’il y ait le moins d’impacts négatifs, mais que l’élevage permette d’améliorer la santé écologique des milieux, et la vie des populations alentours).

Bien sûr, je suis un néo-rural qui n’a pas encore mis la main à la pâte du cochon, donc je ne peux pas dire qu’élever des animaux est facile. Je devrais l’apprendre moi même, à l’échelle domestique ou en conseillant des agriculteurs sur les pratiques permacoles. Mais ce que je voulais faire passer comme message avec ce billet, c’est que la prochaine fois que vous entendrez parler de l’élevage comme d’une activité destructrice, j’aimerai que vous pensiez à un beau et grand mûrier, sous la chaleur d’un soleil d’été, et d’un cochon et de volaille se baladant insoucieusement sous son ombre, consommant les fruits juteux et sucrés tombant au sol. Alors, oui, battons-nous contre l’élevage industriel, contre l’élevage hors-sol, contre les maltraitances. Mais aussi, battons-nous contre les simplifications qui voudraient faire passer l’élevage comme une activité nuisible socialement et écologiquement, au risque de perdre un élément essentiel d’un futur soutenable. Et battons-nous pour la mise en place de systèmes permacoles, pour les végétaux et les animaux.

En changeant l’élevage, on peut à la fois offrir des solutions immédiates et applicables à grande échelle, dans le cadre de notre société industrielle (personnellement, je vois plus l’Aveyron couverte d’arbres fruitiers-fourragers que végane); mais aussi préparer l’avenir grâce à des systèmes permacoles d’auto-suffisance à petite échelle.

PS: bientôt, si j’ai les permissions de diffuser les images, je raconterais notre participation à l’abattage et/ou la découpe/transformation d’un cochon et d’une volaille.

La viande, l’élevage et l’avenir de l’Homme et de la planète

Mon premier design pattern

Si vous vous intéressez à la permaculture, vous avez surement croisé le terme un peu barbare de design pattern. C’est un de ces — pas si rares — anglicismes  qui resteront faute d’une traduction appropriée (dans le langage informatique, on parle de patron ou modèle de conception, mais dans notre contexte l’expression n’est pas top à son aise) . Les design patterns ont été popularisés par l’architecte Christpher Alexander, pour qui « chaque patron décrit un problème qui se manifeste constamment dans notre environnement, et donc décrit le cœur de la solution à ce problème, d’une façon telle que l’on puisse réutiliser cette solution des millions de fois, sans jamais le faire deux fois de la même manière ».

Réfléchir en terme de patterns me semble important. Il s’agit avant tout d’observer les problèmes qui se posent et les solutions généralement apportées (par la nature, ou traditionnellement dans les sociétés humaines), pour pouvoir faire une généralisation (du problème comme de la solution) afin d’étendre la portée et l’application de la solution à d’autres cas. En poussant le raisonnement encore plus loin, on peut se demander quels problèmes sous-jacents ont pu être résolus (de manière parfois inconsciente) par certaines organisations (sociales, architecturales, etc).

Durant mes pérégrinations dans les documentations sur la permaculture, je me suis aperçu qu’un pattern revenait plusieurs fois (sans pour autant être formulé explicitement), et que je le trouvais assez pertinent. J’ai donc décidé de le formaliser, parce que je trouve cette forme élégante (selon moi, c’est l’équivalent scientifique de la poésie littéraire; et quand j’étais aspirant informaticien, j’étais ému par la beauté des design patterns adaptés à la programmation objet…).

Rien de révolutionnaire cela dit, d’autres l’ont surement déjà formalisé, et peut être qu’à sa lecture vous vous direz « tout ça pour ça » ? Mais le principal réside selon moi dans la façon de penser, et je pense que le design patterns peuvent nous aider à penser différemment grâce à leur forme, tout comme la poésie.

Pour ceux qui seraient intéressés par les design patterns, je recommande les livres A Pattern Language de Christopher Alexander, et Edible Forest Garden (vol. 2) de Dave Jack, qui présentent un ensemble de patterns relatifs aux villes, rue, maisons et aux forêts nourricières.

Cet « ensemble de patterns » est en fait construit de telle sorte que les patterns se fassent souvent référence entre eux, décrivant un véritable langage (pattern language) pour résoudre les problèmes du domaine étudié. J’aimerais accumuler toute sorte de pattern pour constituer un pattern language de la permaculture. Elle le mérite.

#1 Sanctuaire

Les ressources qui diminuent lorsqu’on les utilise* (par exemple une plante, ou de l’eau d’une réserve) sont très courantes, mais elles réclament cependant une attention particulière pour être utilisées de manière durable. Pour que le système tendent vers une autonomie maximale, on privilégie un accès libre ou une utilisation libre des ressources par les éléments qui en ont besoin.
Comment permettre cet accès ou cette utilisation libres tout en garantissant la pérennité de la ressource et des prélèvements ?

• Définissez un seuil d’état critique, dans l’espace et/ou le temps, au delà duquel la ressource ne peut pas se régénérer ou être régénérée • Mettez en place des restrictions d’utilisation, sur les plans physiques, éthiques, juridiques, etc., qui garantissent que la ressource ne dépasse pas son seuil critique • Élaborez un pattern d’utilisation dans l’espace et le temps en accord avec ces restrictions.

Le concept de zone 5 en permaculture est une mise en œuvre de ce pattern. Il créé une zone libre de toute intervention ou modification humaine, basée sur des principes éthiques, ou des protections physiques (clôture pour exclure le bétail se trouvant en zone 4). Le seuil critique est ici définie par le temps (protection permanente) et l’espace, qui varie suivant la fonction associée à cette zone 5, et la taille du système permaculturel.

Les systèmes permaculturels peuvent être vus comme des sanctuaires pour des espèces, des techniques ou des savoirs menacés, et doivent être protégés dans leurs utilisations futures par des restrictions juridiques (comme le démontrent les menaces juridiques qui pèsent contre les propriétés des pionniers Robert Hart et P.A. Yeomans).

Sur un plan plus technique, on peut offrir à du bétail l’accès à certaines plantes fourragères en protégeant le « cœur » de la plantation par des clôtures. Les animaux mangeront tout ce qui dépasse de la clôture ou qu’ils peuvent atteindre, mais la plante sera protégée de la destruction et pourra de nouveau s’étendre la saison suivante.

Des vieux bout de bois peuvent servi de sanctuaire pour les insectes et les plantes durant les périodes de sécheresse, procurant de l’eau directement, ou à travers un réseau mycorhizien.

L’holistic management est un exemple de restriction d’utilisation basée sur un pattern temporel et qui assure que l’herbe ne sera jamais sur-broutée. Cette gestion temporelle s’appuie sur une gestion fine et sur des protections physiques (clôtures)

* Voir « Permaculture Designers’ Manual » de Bill Mollison, p. 16 pour les autres types de ressources ainsi que des exemples.

De la permaculture au primitivisme

Comment la permaculture m’a amené à me poser des questions sur l’agriculture et la civilisation.

La permaculture est une méthode de conception de systèmes permettant de combler les besoins humains fondamentaux (nourriture, abris, etc.). Dans l’idéal, ces systèmes doivent êtres productifs, demander une faible maintenance, et être en « bonne santé » écologique. Pour se faire, les systèmes mis en place devraient prendre modèle sur les écosystèmes naturels, qui ont déjà ces caractéristiques — mise à part celle d’être très productifs en denrées  consommables par les humains. Ces caractéristiques émergent du mécanisme de l’évolution : les systèmes naturels qui se sont perpétués ont subi une sélection sur leur potentiel à capter, conserver et recycler les différentes ressources à leur disposition (soleil, eau, nutriments). Les systèmes sauvages que nous observons fonctionnent, autant nous en inspirer. Par exemple pour l’élevage du bétail, on peut s’inspirer des écosystèmes des grands herbivores.

Lorsqu’on commence à s’intéresser à la manière dont les systèmes naturels fonctionnent, on  comprend à quel point l’agriculture — pas seulement industrielle, mais depuis dix millénaires — est terriblement inefficace et destructrice, et à quel point permaculture et agriculture sont différentes. Au contraire, la beauté de certains systèmes agroforestiers de peuples tropicaux ou la gestion des écosystèmes par les peuples primitifs sautent aux yeux — malheureusement pas à ceux des premiers colons européens. La permaculture s’est beaucoup inspirée des systèmes de production tropicaux des peuples horticoles, et je considère la permaculture comme une néo-horticulture (qui vient de hortus, le jardin) plutôt que comme une nouvelle forme d’agriculture (d’ager, le champ), qu’elle soit permanente, durable ou autre — si c’est seulement possible.

Le primitivisme est une théorie selon laquelle la condition humaine a décliné depuis l’invention de la civilisation, puis de l’industrialisation. Le primitivisme se base comme sur la permaculture sur le mécanisme de l’évolution et sur l’étude de systèmes naturels. S’il ne semble pas absurde, lorsqu’on veut élever des poules en permaculture, de regarder leur environnement naturel et leurs comportements (alimentaires, sociaux, sexuels,etc.) pour s’en rapprocher au mieux et éviter le stress en apportant l’environnement dans lequel l’animal puisse s’épanouir, pourquoi ne pas faire la même chose pour l’animal humain ? Là où la permaculture s’intéressera à l’écologie de la forêt, l’éthologie, la géologie; le primitivisme regardera du côté de l’ethnologie, l’ethnobotanique, la paléo-anthropologie et l’archéologie. Tout comme on peut voir émerger dans les écosystèmes des patterns (un type de solution performant qui a été adopté par l’évolution/l’expérience pour résoudre un type de problème) récurrents, l’étude des sociétés humaines primitives montrent des habitudes quelque soit la région du monde des peuples étudiés : organisation sociale, mode d’alimentation, spiritualité, etc. Les connaître et les appliquer pourrait peut être apporter des solutions qui fonctionnent.

Plus tôt dans ce texte j’ai parlé de néo-horticulture. En effet la permaculture est un concept moderne qui ne date que des années 1970, même s’il se base sur des pratiques qui peuvent être millénaires. En effet tout concept s’inscrit dans un contexte, et la permaculture n’est pas une horticulture traditionnelle. Elle se veut une solution moderne (ou actuelle) à des problématiques modernes, avec des outils modernes. Par exemple, le « Permaculture designers’ manual » contient un chapitre sur les terrassements avec des engins de chantier. Si ces travaux utilisant une lourde machinerie permettent de mettre en place des systèmes qui dureront dans le temps en répondant aux besoins humains de manière non-énergivore et non-polluante, pourquoi pas ?

De même les primitivistes (en tout cas une partie d’entre eux) ne cherchent pas à vivre comme les peuples primitifs, car le contexte est différent. Le primitivisme cherche dans les peuples primitifs des modèles qui fonctionnent pour les appliquer à nos sociétés modernes, pour réorienter leurs trajectoires. Il s’agit plus d’un néo-primitivisme, dont sont issus ou qui inclut des concepts comme le néo-tribalisme, le néo-animisme, la permaculture, etc. (mais j’y reviendrais plus tard).

La permaculture et le primitivisme ont donc de nombreux points communs. Il s’agit de trouver des solutions d’actualité aux nombreux problèmes qui se posent en ce moment et qui vont s’amplifier dans le futur. Ces solutions sont basées sur les systèmes naturels, qui sont le résultat de tests parfois effectués sur des millions d’années.  La permaculture serait ainsi une branche du primitivisme, la première cherchant une méthode pour produire de la nourriture tout en respectant les mécanismes de l’évolution, et la seconde une méthode pour vivre en respectant ces même mécanismes.

Pour finir, le recommande à tous les anglophones de visionner cette conférence de Toby Hemenway, auteur de « Gaïa’s Garden, A Guide to Home-Scale Permaculture », intitulée « How Permaculture Can Save Humanity and the Earth, but Not Civilization« :