élevage

L’oeuf ou la poule

Lorsqu’on lit des livres sur l’élevage des poules, on apprend que :

* Les poussins naissent exclusivement sous une lampe incandescente

* Le régime alimentaire des poules se compose de pâtées

* Une race ça pond tant par jour, mais sous granule et avec une période d’éclairage constante (oui, aucun chiffre n’existe pour une production sans lumière artificielle ni nourriture boostée, à part pour les pays du tiers monde …)

Alors moi, ce que je voudrais, c’est un livre dans lequel :

* Les races sont décrites en prenant en compte le critère d’aptitude à trouver de la nourriture

* Qu’on m’explique une fois pour toute comment on gère la reproduction, pour garder des races pures, pour organiser le lieu de couvaison, pour aménager au mieux la relation poule-poussin vis à vis du groupe

* Les moyens de lutte passive contre les prédateurs : que les poules se protègent la journée et la nuit sans que je sois dans les parages

* Combien je peux espérer d’oeuf sans lumière artificielle

* Comment nourrir mes poules en période d’hiver, sachant qu’elles pondent moins ou plus du tout (je n’ai trouvé aucun article qui me disent au minimum une quantité de protéines et d’énergie pour se maintenant en forme)

* A peu près ce qu’une poule peut avaler en parcours libre ou semi-libre, et la correspondance nutritive

* Soyons fou, une liste d’espèces pérennes et leur profil nutritionnel, période de disponibilité, liste de variétés pour étendre la production

Bref, il manque cruellement un livre sur l’élevage de volaille en permaculture, et si ça continue il va falloir que j’en écrive un, ce qui serait un comble vu que je n’y connais absolument rien …

Heureusement que Mollison et Holmgren ont un peu bossé la question, en quelques pages, ils sont plus utiles que des bouquins entiers …

 

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La viande, une extravagance sans gravité

MEAT, A Benign Extravagance est un livre écrit par Simon Fairlie, qui a le mérite de remettre certaines idées en place, et certains chiffres dans leur contexte.

Petit florilège des choses qui m’ont parues importantes, sur le mode « twitter » par manque de temps. Certains points vous sembleront peut être farfelues sans plus de détails, je vous invite à lire le livre que je recommande chaudement.

• Si le monde se mettait soudainement à un régime vegan, il n’y aurait pas plus de protéines disponibles. Cela vient du fait que dans les pays non industrialisés les animaux recyclent des denrées non comestibles (résidus de culture, déchets de préparation …). Source FAO (97).

• Les fameux 100 000 litres d’eau utilisés pour produire un kg de viande sont en fait l’eau de pluie qui tombe sur le champ où pousse le foin mangé par la vache.

• Un mode de culture permaculturel vegan peut subvenir aux besoins de 8 personnes sur un hectare de terre arable, alors que la version avec des animaux a besoin de 0,8 ha supplémentaires pour 7,5 personnes. Le régime vegan est donc deux fois plus efficace en terme de superficie.Cependant, l’agriculture vegan contient 64% de cultures annuelles (à opposer à pérennes) de plus que la culture omnivore. Les deux régimes nécessitent également autant de terres arables (c’est à dire que le régime vegan économise surtout des pâtures, qui ne peuvent pas forcément être utilisées pour faire pousser d’autres choses).

• Souvent « viande » = « Bœuf élevé aux USA nourri avec des céréales ou fourrages irrigués »

• Un élevage conduit de manière inefficiente et extravagante (c’est à dire des animaux nourris avec de la nourriture comestible aux humains) atteint les limites écologiques avant qu’il y ait une surpopulation humaine, et ainsi servir de tampon en évitant des conflits plus meurtriers.

• La marché des céréales pour la consommation humaine est très rigide, alors que l’élevage permet de rajouter un débouché en cas de surplus. La consommation de viande est très élastique, et sert donc de « banque » permettant de stocker les surplus de grains, et de faire face aux pénuries. Le fermier peut semer avec confiance des céréales, sachant qu’il y aura toujours un débouché, quelque soit le résultat.

• Si l’on considère un élevage qui ne monopolise pas les ressources disponibles pour les humains,  nourri avec les déchets des transformations alimentaires, les résidus de culture, la nourriture jetée, les déchets d’abattoirs et les patures, on obtient entre 1/3 et 2/3 de la production mondiale en terme de volume. Si l’on prend la moitié, cela revient à à peu près 20 kg de viande et 40 kg de fromage pour chaque personne et par an. Si on prend en compte les surplus de production de céréales les bonnes années, cela ajoute 10-15 kg.  Pour information la moyenne française de consommation annuelle est autour des 100 kg.

Plaidoyer pour l’élevage

Ce texte poursuit les réflexions de l’article La viande, l’élevage et l’avenir de l’Homme et de la planète, qui prenait le contrepied des arguments végétariens, et de l’article Pourquoi je suis omnivore, qui décrivait les arguments d’un régime (paléo-)omnivore.

Dans cet article, j’aimerais aborder la place de l’élevage dans une gestion agricole durable. Bien évidemment, je ne parle pas d’élevage industriel, et la suite de l’article devrait lever toute ambiguïté possible.

Tout d’abord, avant de faire des choix, il faut savoir contre quoi et pour quoi on se bat. Personnellement, je veux me battre contre l’effondrement écologique d’origine anthropique —  la perte de fertilité des sols; la pollution de l’eau, de l’air et de la terre; la disparition des espèces et des individus végétaux et animaux; le dérèglement climatique. Je veux concevoir et/ou populariser des modes de vies qui n’aggravent pas ces problèmes, et qui soient une partie de leurs solutions.

Parmi les principes de la permaculture, il y en a un qui stipule que « le problème est la solution », c’est à dire qu’il est plus intelligent de tirer partie d’une situation que de la combattre de front. Pour à peu près tout le monde, l’élevage industriel est un énorme problème notamment par la place qu’il occupe en superficie de terre arable. Si l’on pouvait rendre l’élevage durable, ne serait-ce pas possible d’améliorer énormément de choses avec peu de changements ?

J. Russel Smith, auteur de Tree Crops : A Permanent Agriculture, a été un  inspirateur de Bill Mollison (le terme « perma–culture » vient probablement de ce livre). Le combat de Smith se porte sur l’érosion des terres américaines qui servent à l’agriculture d’annuelles (coton, maïs). Pour lui, la solution est d’éviter les labours et donc d’utiliser des arbres. Mais l’espace américain est vaste, et une plantation massive d’arbres fruitiers va se heurter rapidement à un problème de « marché ». Comment faire pour que ces terres ne soient plus labourées ? Il faut une végétation permanente et il faut que les agriculteurs aient une raison de le faire (c’est à dire qu’ils puissent vivre de leurs terres et de leur travail). Smith propose alors de convertir les champs de maïs, qui sont destinés au bétail, en vergers fourragers. En effet les animaux permettent de contourner les limites économiques (saturation du marché rapide) et énergétiques (il faut une main-d’œuvre élevée pour ramasser les fruits, alors que les animaux récoltent eux-même leur nourriture). Sans compter que la logistique reste la même pour abattage, la conservation, la vente, etc., des animaux.

Le génie de cette solution, et qu’elle pourrait avoir un impact très rapide sur une grande partie du territoire, qu’elle ne fait pas appel à de grands changements sociétaux (comme un véganisme généralisé), et qu’elle ne requiert pas une révolution technique dans les fermes. En clair, c’est une solution pragmatique, qui s’adresse autant aux agriculteurs (qui sont les propriétaires des terres, et qui sont le moteur de changement sur ces vastes espaces, et dont la survie financière doit être préservée) qu’aux « écologistes ».

Bien sûr, on pourrait aussi se dire qu’une solution valable serait de passer à un régime vegan, de récupérer les terres ainsi dégagées, et de les rendre sauvage. Tout d’abord je voudrais insister sur la probabilité que cette seconde option se passe, par rapport à la première. Il faut une révolution alimentaire (surtout au pays du bacon et des hamburgers) et agraire. Pour le côté pragmatique, on repassera. Et nous n’avons pas forcément le temps d’attendre. Et comme le constate Smith, la culture du maïs est destructrice, et une fois la fertilité du sol évaporée, il faut faire des perfusions d’engrais minéraux. Une dépendance dont il faudrait mieux faire le deuil rapidement.

Les feuilles et les fruits du mûriers sont consommées par les cochons.

Le mûrier est un arbre formidable. Comme le note Smith, il est peu cher car facile à propager; il est facile à transplanter; il pousse rapidement; la mise à fruit est rapide; le fruit est riche en nutriments; l’arbre produit de manière régulière dans un large panel de conditions pédologiques et environnementales; il produit des fruits pendant une longue saison; l’arbre porte des fruits dans toutes les zones de sa frondaison, même celles qui sont ombragées; il peut produire même après avoir souffert du gel, la même année; le bois du tronc peut être utilisé pour des poteaux ou de la chauffe; il a peu ou pas de ravageurs et ne nécessite donc pas de traitements; le mûrier a été cultivé depuis longtemps, donc l’absence de ravageurs est plus due aux caractéristiques de l’arbre qu’à un état relativement sauvage.
C’est une source de nourriture qui fait rêvée, mais qui est accessible à peu d’occidentaux car cet arbre est le contraire d’un arbre adapté à la commercialisation (longue période de maturité, fruits qui tombent au sol, très salissants, peu de conservation, …). Par contre, elle est tout à fait adaptée à l’élevage des cochons. D’après les témoignages rapportés par de nombreux éleveurs (le livre a été écrit avant les années 50), un seul mûrier peut nourrir un porc pendant la saison de maturité des fruits, c’est à dire deux à trois mois d’été (soit 60 à 90 jours; pour donner une idée, la période d’abattage minimale en label rouge et AB étant de 180 jours) ! Si l’on rajoute aux avantages déjà cités, le fait que les mûres sont comestibles (ce qui permet une réorientation du fruit vers les humains lors d’un épisode de famine), qu’elles sont aussi consommées avidement par la volaille (possibilité d’élevage complémentaire), que les fruits tombent tout seuls (aucun frais de récolte, de transformation, de stockage), que les feuilles peuvent servir de fourrage à d’autres animaux domestiques et qu’elles tombent tardivement et pratiquement en quelques jours (ce qui facilite la récolte et offre un fourrage d’hiver) … on se rend compte du potentiel énorme d’un élevage utilisant peu d’énergie, de machinerie et de main d’œuvre.

C’est pour moi le principal avantage de l’élevage. Il est très difficile d’avoir un système qui à la fois se base sur des espèces pérennes (plantes vivaces, buissons, arbres, lianes…), demandent peu de main-d’œuvre, et pas de grosse machinerie. Les fruits et les noix demandent soit une énorme main-d’œuvre (principalement  pour la récolte), soit une machinerie (pour ramasser de manière automatique les noix et noisettes, par exemple) qui imposent des contraintes (rangées bien droites, sol rasé …).

l'"Air Potato", Dioscorea bulbifera

Bien sûr le mûrier ne peut pas nourrir à lui seul les porcs, mais il existe d’autres arbres fourragers. Smith cite le chêne, le châtaigner, le kaki qui eux aussi donnent des fruits consommés avidement par les porcs, et qui tombent tout seuls. Il y a bien d’autres systèmes à inventer. Les porcs fouissent à la recherche de tubercules. On peut leur apporter cette nourriture en plantant des pommes de terres, des topinambours, des patates douces dans leur enclos. Apparemment ils les replantent d’eux même en oubliant des petits bouts.Si ce n’est pas le cas, il suffira d’en planter dans des espaces protégés par des clôtures, pour qu’ils s’étendent chaque année à la portée des porcs, en suivant le principe du « sanctuaire« . En lisant le livre d’Eric Toensmeier, Perennial Vegetables: From Artichokes to Zuiki Taro, dans lequel il aborde le cas intéressant de l’hoffe (Dioscorea bulbifera) — peut être l’unique tubercule que l’on peut prélever sans perturber le sol —  j’ai pensé que cette plante pouvait servir de nourriture aux porcs. Elle combine plusieurs avantages : c’est une tubercule, donc elle est bien adaptée aux porcs; il s’agit d’une liane, donc qui produit vite et qui peut utiliser le support d’arbres déjà présents, et donc les rendre « productifs »; les tubercules tombent toutes seules à maturité, comme les mûres; la liane peut être protégée par une clôture, pérennisant la production sans autre intervention; la période de maturité est importante, 4 à 5 mois; le porc n’a pas à fouisser pour la manger, ce qui peut préserver le terrain de trop grandes perturbations. J’ai soumis l’idée à Eric Toensmeier, qui l’a trouvée pertinente, peut être une piste. Bref, je pense qu’élever des animaux de manière vraiment écologique est possible (par là, je n’entend pas qu’il y ait le moins d’impacts négatifs, mais que l’élevage permette d’améliorer la santé écologique des milieux, et la vie des populations alentours).

Bien sûr, je suis un néo-rural qui n’a pas encore mis la main à la pâte du cochon, donc je ne peux pas dire qu’élever des animaux est facile. Je devrais l’apprendre moi même, à l’échelle domestique ou en conseillant des agriculteurs sur les pratiques permacoles. Mais ce que je voulais faire passer comme message avec ce billet, c’est que la prochaine fois que vous entendrez parler de l’élevage comme d’une activité destructrice, j’aimerai que vous pensiez à un beau et grand mûrier, sous la chaleur d’un soleil d’été, et d’un cochon et de volaille se baladant insoucieusement sous son ombre, consommant les fruits juteux et sucrés tombant au sol. Alors, oui, battons-nous contre l’élevage industriel, contre l’élevage hors-sol, contre les maltraitances. Mais aussi, battons-nous contre les simplifications qui voudraient faire passer l’élevage comme une activité nuisible socialement et écologiquement, au risque de perdre un élément essentiel d’un futur soutenable. Et battons-nous pour la mise en place de systèmes permacoles, pour les végétaux et les animaux.

En changeant l’élevage, on peut à la fois offrir des solutions immédiates et applicables à grande échelle, dans le cadre de notre société industrielle (personnellement, je vois plus l’Aveyron couverte d’arbres fruitiers-fourragers que végane); mais aussi préparer l’avenir grâce à des systèmes permacoles d’auto-suffisance à petite échelle.

PS: bientôt, si j’ai les permissions de diffuser les images, je raconterais notre participation à l’abattage et/ou la découpe/transformation d’un cochon et d’une volaille.

La viande, l’élevage et l’avenir de l’Homme et de la planète

La viande, l’élevage et l’avenir de l’Homme et de la planète

Derrière ce titre ronflant, je voudrais attirer l’attention sur un sujet dont il est souvent question dans les milieux alternatifs ou « écolos », à savoir la consommation de viande, l’élevage, le végétarisme (ou végétalisme) et les questions environnementales, sociales, éthiques et nutritionnelles.

Parcs intensifs de bétail (Californie)

Les points soulevés par les végétariens sont assez connus, mais je vais les résumer ici car ils me serviront dans la suite de l’article. Les arguments sont tirés du site de l’association végétarienne de France, que je considère représentatifs de ce que l’on peut entendre. L’élevage, la production ou la consommation de viande est incroyablement gaspilleur de ressources : la production d’un kilo de viande nécessite(rait) 10 kilos de végétaux, et il faut dix fois plus d’eau pour un kilo de bœuf qu’un kilo de blé (soit entre 5000 et 25000 litres). Les céréales cultivées pour nourrir le bétail pourraient nourrir directement les Hommes, avec une meilleure efficacité comme on l’a vu. La consommation de viande provoquerait indirectement la mort d’habitants des pays pauvres qui cultivent des céréales pour nourrir les animaux destinés à être consommés par les pays riches. L’impact de l’élevage sur l’environnement est multiple : déforestation pour les pâturages et pour faire pousser des céréales ou des légumineuses (comme le soja en Amérique du sud), gaspillage et pollution de l’eau, rejet de gaz à effet de serre (dans la production d’engrais et rejetés par les animaux eux-mêmes), et destruction des sols résultant des pratiques citées précédemment. Une consommation excessive de viande provoque des maladies comme l’obésité, le diabète et des problèmes cardio-vasculaires. Enfin l’élevage provoque la souffrance des animaux, et conduit à leur mort.

Encore faim  ?

Montbelliardes broutant en Auvergne

Montbelliardes broutant en Auvergne

J’aimerais avant tout apporter une précision, importante –fondamentale–, la plupart des affirmations ci-dessus concernent l’élevage industriel. Je répète, l’élevage industriel. Mis à part l’aspect éthique, qui est indépendant d’une certaine manière du type d’élevage, le reste des affirmations est intimement lié au mode de production. Or je trouve que les argumentaires sur la question sont souvent imprécis. On pourrait objecter que ce n’est pas grand chose, tant l’élevage industriel domine sur les autres types d’élevage (je n’ai pas réussi à trouver de statistiques malgré mes recherches). Mais mettre de côté d’autres options peut masquer d’éventuelles solutions, et réduire le champ des possibles à certaines affirmations comme «la meilleure chose à faire pour l’environnement est de devenir végétarien»*. La consommation de viande étant parfois liée à des questions éthiques, morales ou religieuses, on pourrait suspecter cette approximation d’heureux hasard, mais je laisse le bénéfice du doute aux associations végétariennes.

La deuxième précision que je voudrais faire est que je suis d’accord avec les arguments environnementaux, sociaux et nutritionnels concernant l’élevage industriel. Il y a peu d’entreprises aussi destructrices que celle-là. Je suis également d’accord qu’un régime végétarien est de loin préférable au régime alimentaire industriel constaté dans les pays développés. Je ne mange personnellement de la viande pas plus de deux fois par semaine, et bio si possible. Mais je ne suis pas ici dans le pragmatisme, que suggèrent les messages ou chiffres chocs et simplificateurs des campagnes végétariennes, mais dans la réflexion sur un régime alimentaire idéal, que j’appellerai régime permaculturel, et qui est le reflet des méthodes de productions correspondantes.

Ces précisions étant faites, j’aimerai revenir sur les arguments cités précédemment et ramenés à un mode d’élevage pré-industriel. Je répète, je ne parle pas ici d’élevage industriel, mais d’élevage traditionnel.

Les bœufs voleraient les céréales de la bouche des pauvres. Le problème, c’est qu’aucun bœuf (ou plus généralement ruminant) ne devrait manger de céréales, car ils ne sont tout simplement pas pourvu génétiquement pour le faire. Les ruminants mangent de l’herbe, et contrairement à nous, ils peuvent (et doivent) digérer de la cellulose. Nourrir le bétail par des céréales (blé, maïs,…) rend les ruminants malades, car l’augmentation de l’acidité induite détruit les bactéries qui vivent en symbiose avec eux. Même si le ratio animal/végétal est forcément défavorable (il faudra toujours plus de végétaux pour produire une certaine quantité de viande), si l’on considère que ce stock de végétaux n’est pas comestible pour l’homme (comme c’est le cas pour les prairies broutées par le bétail), cette absurdité n’en est plus une. Quant à l’eau (jusqu’à 25000 litres  par kilo !), elle peut provenir d’eau qui n’aurait pas été consommée par l’Homme, comme par exemple une récupération d’eau de pluie à grande échelle, via des bassins de rétention. Enfin, que ce soit les végétaux comme l’eau, les animaux ne gardent pas ce qu’ils ingèrent pour eux, mais ils rendent en grande partie ce qu’ils consomment à leur environnement (sauf la partie perdue pour maintenir leur corps à température ou se déplacer par exemple), sous forme d’urine et de bouses, qui permettent de stimuler la croissance des prairies dont ils se nourrissent (je reviendrai dessus plus tard). Le régime végétarien permettrait-il de nourrir dix fois plus de personnes ? Si l’on met de côté le pouvoir des chiffres, qui peuvent se révéler simplificateurs (une alimentation ne se réduisant pas à un simple quota de calories), il y a effectivement possibilité de nourrir directement les Hommes avec les céréales qui sont fournies aux bovins, mais un animal élevé sur prairie « transforme » une ressource non comestible (cellulose) en ressource comestible (protéines). Et ces prairies valorisées par l’élevage ne peuvent être transformées, mis à part dans les équations sur papier, par des champs de céréales, qui ne sont cultivées que dans des régions au biome particulier (grandes plaines céréalières d’Amérique du nord, steppes de Russie, Australie).

Les dégradations environnementales sont également liées au mode de production. La déforestation en Amérique du sud ne résulte pas d’un élevage de bovin français où le bétail pâture et mange du foin l’hiver. L’eau est seulement gaspillée par l’élevage industriel, qui prélève de l’eau potable du réseau de distribution, et évacue l’urine dans le réseau de retraitement (ou les rivières) sans l’utiliser.

Côté nutritionnel, l’excès de consommation de viande joue certainement. Mais ce que l’on sait moins, c’est que les animaux nourris de manière industrielle produisent une viande (et du lait ou des œufs) de moins bonne qualité. Moins grasse, avec un meilleur ratio omega 3/omega 6, avec un meilleur taux de vitamines*, la viande (et les produits dérivés) d’animaux élevés sur pâtures n’est pas comparable avec celle de leurs homologues élevés de manière industrielle. Or il y a fort à parier que les études nutritionnelles ont été effectuées sur de la viande industrielle, car c’est celle qui est en grande majorité consommée. L’Homme est un animal omnivore. Les végétariens objectent souvent que ce n’est pas parce que l’Homme peut manger de la viande qu’il le doit. L’omnivorisme, qui est un avantage puisqu’un régime alimentaire varié permet une plus grande adaptabilité, a aussi un inconvénient qui est que l’Homme a besoin d’une source plus diversifiée pour satisfaire ses besoins nutritionnels (contrairement aux ruminants par exemple qui n’ont besoin que d’une source très restreinte d’aliments). Plusieurs théories évoquent la consommation de chair animale comme facteur direct ou indirect de notre évolution : consommation de poissons ou d’organes contenant des omega 3 pour le développement physique du cerveau, et stratégie de chasse ayant impactée notre mode d’organisation (langage pour la coordination). De plus on constate que les peuples primitifs modernes consomment également beaucoup de viande. L’appel à la paléoanthropologie n’est pas un argument d’autorité : ce n’est pas parce que nos ancêtres préhistoriques portaient des peaux de bêtes et vivaient dans des grottes qu’il faut en faire autant. Cependant il y a un domaine où le temps fait autorité, c’est celui de l’évolution. Pendant des centaines de milliers d’années en temps qu’Homo Sapiens, et des millions d’années en temps qu’Homo, nous avons consommé de la viande. Nous avons donc coévolués avec un régime alimentaire paléolithique comprenant de la viande. Les arguments sur la comparaison entre le côlon de l’Homme et celui du loup souvent entendus pour justifier que l’Homme n’est pas adapté à la consommation de viande deviennent suspects à la lueur de l’évolution, et l’on peut s’amuser à des comparaisons similaires des différentes caractéristiques entre l’Homme et le chien (très similaires) et la vache (peu similaire)[1]. La viande ou des produits animaux sont-ils nécessaires ? Il existe des peuples végétariens, le plus connu étant les indiens hindouistes qui sont végétariens par religion. Mais les choses sont peut être plus complexes qu’il n’y parait. En effet les techniques traditionnelles de récolte des céréales laissent des larves et des œufs d’insectes accrochés. Pour l’anecdote, la population indienne d’Angleterre souffrait d’un fort taux d’anémie dû aux réglementations sanitaires plus strictes[2]. La « Food and Drug Administration » américaine prévoit un taux maximum de résidus animaux sur certains produits, consciente de la difficulté de supprimer tous les insectes*.

J’aimerais maintenant inverser la question : un régime végétarien est-il vraiment conseillé ?

Comme je suis loin d’avoir les connaissances requises en nutrition, je ne m’attarderai pas sur cette partie du sujet. J’aimerais seulement ajouter que les céréales, qui sont une composante essentielle d’un régime végétarien (mais aussi des régimes traditionnels) ne sont consommées de manière importante par l’espèce humaine que depuis les débuts de l’agriculture (qui a consisté justement à domestiquer et planter ces céréales) qui remontent à environ 10000 ans. 10000 ans ça peut paraître énorme, par rapport au Moyen-Âge qui remonte seulement à quelques siècles ou à l’empire romain ou égyptien, apparus il y a  de quelques millénaires, mais il s’agit d’un temps extrêmement court sur l’échelle de l’évolution. Cela représente 0.5% de notre histoire en temps qu’Homo Sapiens (200000 ans) ou 0.005% en tant qu’Homo (2.5 millions d’années). « La fréquence des mutations spontanées de l’ADN du noyau cellulaire est de l’ordre de 0.5% par millions d’années »[3]. Sommes nous programmés génétiquement pour manger des céréales ?

Culture de céréales

Récolte intensive de céréales

Côté production, le régime végétarien classique impose la culture de nombreux champs de céréales et de légumineuses. Ces deux types de plantes sont généralement des annuelles, c’est à dire qu’elles meurent et se ressèment chaque année. Cependant les espèces domestiquées ont été justement sélectionnées sur le fait que leurs graines ou pois ne se ressemaient pas, ce qui rendait leur récolte par l’Homme aisée. C’est pourquoi l’Homme doit ressemer des graines chaque année. Les céréales sont des plantes qui réclament un sol perturbé, comme c’est souvent le cas des annuelles, qui permettent de recoloniser des terres perturbées, avant l’établissement d’une végétation pérenne (la forêt dans le cas des milieux tempérés et tropicaux). Les céréales sélectionnées par l’Homme ont été celles qui poussaient sur les dépotoirs (toilettes, décharges) humains, fortement perturbés. Les céréales et les légumineuses demandent beaucoup de travail ou d’énergie pour leur culture, puisqu’il faut les semer et les récolter chaque année, et s’occuper d’elles (par exemple en arrachant les adventices). Les asiatiques penchés sur leurs rizières en train de repiquer les plants de riz ou les paysans européens fauchant leurs céréales sont de bonnes images du travail induit par les céréales. Aujourd’hui, ce travail est mécanisé à grand renfort d’énergies fossiles. Le problème des céréales est la nécessité de les cultiver par des monocultures, pour rentabiliser les opérations de semage et de récolte (et de pulvérisation d’engrais et de pesticides en production intensive). Il existe bien des méthodes de production plus naturelles, comme interplanter les champs d’arbres (agroforesterie), de ne pas labourer (semis directs sous couvert végétal, mais qui pourrait nécessiter l’utilisation d’engrais), la méthode de Masanobu Fukuoka (mais à adapter sous nos contrées et sur nos sols), ou encore la méthode biologique (mais qui nécessite du fumier … animal). Mais ces méthodes ne cachent pas le fait que les céréales nécessitent de l’énergie pour leur culture, tout simplement parce qu’elle nécessite une perturbation profonde, pour garder le système dans une période immature de la succession écologique .

blabla

En permaculture, le comportement naturel des animaux est utilisé pour fournir des services écologiques au sein du système cultivé, tout en se nourrissant d'aliments non comestibles pour l'Homme. Les poules éliminent les larves d'insectes dans le potager ou le verger.

Les animaux au contraire s’épanouissent dans des écosystèmes matures, dont ils font pleinement partie, et qu’ils contribuent à mettre en place (en dispersant les graines, en éliminant les plants faibles, …). Certains systèmes ont coévolué avec des animaux, à tel point qu’ils sont mutuellement dépendants, comme la prairie et les herbivores. La permaculture cherche a récréer les dynamiques des écosystèmes naturels dans les systèmes cultivés. De ce point de vue, les animaux domestiques sont une pièce essentielle des agrosystèmes. Placés correctement de façon a pouvoir exprimer leur comportement naturel, ces animaux peuvent fournir d’inestimables services écologiques, tout en tirant partie de ressources non comestibles à l’Homme, tout en produisant de la viande, du lait, des œufs, du cuir, etc. Par exemple les canards peuvent être utilisés pour manger les limaces du potager; les poules mangent les larves d’insectes dans les fruits pourris des vergers ou les bouses de vaches, cassant le cycle des ravageurs; les cochons peuvent « labourer » superficiellement le sol pour préparer une plantation. De plus les animaux font partie du cycle des nutriments : ils restituent les nutriments pris dans leur nourriture à l’écosystème sous forme de déjections qui concentrent et rendent disponible ces nutriments, permettant à un nouveau cycle de commencer, ce qui permet au système de se complexifier.

Les animaux peuvent être mignons. Pourrait on faire une photo avec un tel impact émotif avec des insectes, ou des écosystèmes entiers (difficilement appréhendables) ?

Mais les arguments nutritionnels ou environnementaux ont peu de poids face aux arguments éthiques et moraux. Loin de moi l’idée de vouloir imposer ma vision, mais je vais juste donner mon avis quant à l’éthique animale des végétariens, et la mienne propre.

La souffrance est une notion subjective. J’estime pour ma part que des animaux qui sont élevés de manière à ce que leurs comportements naturels puissent s’exprimer (alimentation, structures sociales, comportements sexuels) ne souffrent pas. D’autres estiment que l’élevage en soit est immoral.

Concernant le fait de tuer un animal, je voudrais tout d’abord pointer la contradiction végétarienne. En effet le lait et ses dérivés nécessitent une naissance pour stimuler la lactation, et les petits mâles finissent souvent sur les étalage des bouchers. Les poussins mâles subissent le même sort dans l’industrie de la poule pondeuse.
L’argument selon lequel on ne devrait pas tuer un animal car il a certaines caractéristiques semblables aux nôtres (émotions, douleur, vie sociale …) soulève plusieurs points. Tout d’abord il s’agit de dresser une limite entre ce que l’on ne doit pas tuer, et par extension, ce que l’on peut tuer. La radicalité du concept (tabou moral) qui ne laisse pas de place au contexte, de ne pas tuer d’animaux, peut aussi s’exprimer dans l’autre camp. On peut détruire certaines choses sans explication. De plus cette vision est anthropocentrée, puisque ce qui définit la limite, c’est le niveau d’identification que l’on peut ressentir avec l’organisme vivant concerné. On se sentira plus proche d’animaux biologiquement ressemblants comme les primates, puis les mammifères, puis … ou dans notre vie quotidienne (animaux de compagnie, animaux médiatisés). Or comme nous l’avons vu, le régime végétarien n’est pas sans impact sur les écosystèmes, qui peuvent être détruits pour être remplacés par des champs de céréales avec une biodiversité très faible.
Pour ma part je ne vois aucun mal à tuer un animal pour le manger, du moment que cela est fait avec respect. C’est à dire de s’assurer que l’animal a été élevé sans souffrance, qu’il est tué dignement, pour la subsistance humaine, et en connaissance de cause (c’est à dire que l’on a conscience de ce que l’acte de manger cet animal a engendré comme conséquences). J’aime l’attitude de l’animiste qui révère l’animal qu’il mange (surtout si cet animal est vital dans la stratégie de survie d’une tribu). La recherche d’une éthique de la nourriture n’est pas chose aisée, mais pour cela il faut se replonger au cœur de nos systèmes agricoles, et de l’écologie en général.

Pour conclure, je dirais que l’élevage intensif est une ignominie; qu’un élevage « traditionnel » (sur pâturage) n’a pas la plupart des inconvénients cités habituellement; que la généralisation de régimes carnés sans viande industrielle verra la proportion de viande radicalement baisser; qu’un régime végétarien a un impact négatif sur l’environnement; que les animaux sont précieux pour les systèmes agricoles durables (surtout de types permacoles); bref pour résumer le résumer, mangeons de la viande, mais pas n’importe laquelle, et en petite quantité.

 

La suite de la réflexion se trouve dans les articles  « Pourquoi je suis omnivore » et Plaidoyer pour l’élevage.

[1] The Vegetarian Myth: Food, Justice, and Sustainability, Lierre Keith.
[2] Un jardin dans les appalaches, Barbara Kingsolver, p. 146.
[3] Dr Boyd Eaton, cité dans Le régime préhistorique, Thierry Souccar.