arbres

Comment les arbres nous ont façonnés

Nous avons emprunté aux arbres leur verticalité ; c’est grâce à eux que nous sommes debout ; comment grimper a un arbre sans, d’abord, adopter pour notre corps une position verticale ? Notre verticalité est celle des arbres. La brachiation est, ou a été, pratiquée par tous les Homminidés. Outre quelle prédispose à la posture verticale et a la bipèdie au sol, elle se
traduit par une série d’adaptations anatomiques que nous avons conservées : membres antérieurs longs, articulation de l’épaule orientée vers le haut, omoplates dans le dos, cage thoracique large et peu profonde, pouce opposable, doigts effilés portant des ongles au lieu de griffes et dont la pulpe distale est d’une grande sensibilite.

La vie dans la canopee a laissé notre organisation physique porteuse de caractères que nous jugeons avantageux: des yeux rapprochés « en facade », donnant la perception du relief, un cerveau volumineux permettant le traitement rapide et sûr des informations nécessaires au deplacement en trois dimensions tout en restant suffisamment concentrés mentalement pour pallier les risques de chute.

Le rapprochement anatomique de nos yeux s’est fait au détriment de notre région nasale, d’où notre odorat peu développé ; mais il a eu le mérite de nous donner un véritable visage. La vie en société, instaurée initialement pour des raisons de sécurité, a été favorisée à la fois par le developpement de l’intelligence et par l’établissement de relations interpersonnelles rendues possibles par la reconnaissance des visages de ceux qui nous entourent. On sait l’importance du visage dans les mécanismes de la vie sociale.

La vision du relief a fait de nous, potentiellement, des chasseurs habiles à voir les mouvements. La prédation sur du gibier mobile, s’ajoutant à la consommation des ressources alimentaires fournies par les arbres, a fait de nous des omnivores, alignant des dents aux diverses fonctions, incisives, canines et molaires.

[…]

L’habitat canopéen a favorisé la vie diurne ; du coup, nous avons perdu le tapis refléchissant (tapetum lucidurn) que les autres mammifères, majoritairement nocturnes, possèdent au fond de leur rétine : dans la nuit, le faisceau d’une torche dirigé vers un être humain ne lui fait pas briller les yeux. En revanche, la vie diurne a favorisé les déplacements rapides dans le domaine vital, la vie en groupe et les interactions sociales complexes qui rendent possible l’instauration de la culture. Revenons au passage de l’horizontalité a la verticalité. II a nécessairement eu des conséquences sur la position des organes internes, du fait de la gravité, un facteur physique d’une telle permanence qu’il parait banal et que l’on tend à en perdre de vue les effets sur les êtres vivants. Ces modifications « gravitales » ont eté recensées ; les deux plus importantes seraient la descente du larynx et le basculement du bassin. La descente du larynx, en entrainant l’expansion du pharynx, a permis remission de sons articulés, dont nous avons besoin : ainsi est né notre langage. Le basculement du bassin a eu des conséquences plus importantes encore : supportant dorénavant le poids de la tête et de toute la partie antérieure du corps, le bassin est devenu a la fois plus court et plus large. De ce fait, l’accouchement est beaucoup plus difficile chez les bipèdes verticaux que chez les quadrupèdes horizontaux car il a lieu au travers d’une symphyse pelvienne osseuse dont les dimensions sont inextensibles : il s’agit d’une d’une sorte de « naissance avant terme », d’accouchement prématuré, d’où l’immaturité du cerveau à la naissance. Incapable de s’alimenter seul, le petit Homme aura besoin, pour survivre, du secours d’une mère, et il va passer ses premières années à exercer une fonction dans laquelle il excelle : apprendre. L’immaturité du cerveau à la naissance n’est done nullement un handicap, bien au contraire, puisque c’est là que se situe le propre de l’Homme, « son exceptionnelle capacité à apprendre ».

Au bilan, ne devons-nous pas reconnaitre que les arbres ont joué un rôle essentiel dans la mise en place de nos caracteristiques humaines, la verticalité qui libère les mains, la possession d’un visage et la vie en société, l’adoption d’un langage et une capacité d’apprentissage bien supérieure à celle des autres animaux ?

N’est-ce pas par la conjonction de ces caractéristiques qu’en deux cent mille ans, nous sommes passés de la pierre taillée a l’Internet et des cavernes aux voyages interplanétaires ? Ne devrions-nous pas, plutot que de renier les arbres, suivre l’exemple qu’ils nous offrent ? Silencieux et dignes, extraordinairement anciens et pourtant pleins d’avenir, beaux et utiles, autonomes et non violents, les arbres ne sont-ils pas les modèles dont nous avons besoin ?

— Francis Hallé, Plaidoyer pour l’arbre, p. 163