Hommes

Nous sommes nous trompés ?

Généralement, on se moque des chrétiens qui pensent que la Terre date d’il y a 4 000 ans, la bible à la main. Mais notre culture nous aveugle tout autant quant à nos origines. Pour à peu près tout le monde, l’Histoire humaine est faite d’empires mythiques comme les Mayas, les Incas, les Romains, les rois d’Europe qu’on ne saurait pas trop replacer, à part dans une case pleine de choses lointaines, fantaisistes et révolues. Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, on pensait que les humains avaient toujours vécus comme ça –avec l’agriculture, l’élevage, les cités et les empires.

Depuis, la paléoanthropologie est passée par là et a révélé bien des choses dérangeantes. On sait désormais que les Hommes (homo sapiens) ont vécu comme des chasseurs-cueilleurs jusqu’à il y a 10 000 ans. Dix milles ans, ça peut sembler le bout du monde, mais si l’on compare cette durée à celle notre apparition en tant qu’Homme (200 000 ans), on s’aperçoit que notre espèce a vécu 95% de son temps comme chasseurs-cueilleurs, et les derniers 5% en tant qu’agriculteurs. Si on représente notre présence sur cette planète par une journée, nous avons commencé l’agriculture à 22h48. Bien sûr, notre ancien mode de vie a été peu à peu oublié, car à la naissance de l’agriculture, l’écriture n’existait pas encore. L’écriture ne sera inventée qu’en Mésopotamie plus de 4000 ans après. Il a donc fallu que les anciens souvenirs se transmettent par voie orale pendant tout ce temps. Cependant, on peut voir dans la bible une métaphore de ce passage de la chasse-cueillette (l’Eden) à l’agriculture (la damnation sur Terre)[1].

Ce qui est beaucoup plus déroutant, c’est le peu de cas fait des découvertes récentes des paléoanthropologues. On a eu tôt fait de reléguer ce passé de chasseur-cueilleur. Si l’Homme n’est pas né agriculteur, alors ce sera son Histoire qui commencera avec l’agriculture [2]. La pré-histoire (qui représente tout de même 99.5% de notre temps en tant qu’Homo), c’est tout ce qui se trouve avant. Pour bien marquer le coup, l’agriculture devient une révolution, la révolution néolithique. L’agriculture, c’est en quelque sorte notre big-bang à nous.

Cette vision des choses nous empêche cependant de changer notre regard. Mis en perspective, ces derniers 10 000 ans (l’empire romain, les Pharaons, les guerres mondiales, Aristote, le moteur à explosion, les incas, la roue) ne représentent pas notre fondement ni notre destinée en tant qu’Hommes, mais une simple bifurcation très récente. Le fait que 99% des gens qui peuplent actuellement notre planète soient issus (ou aient été intégrés) de cette bifurcation la rend totale, mais n’en fait pas moins une curiosité de notre existence. Notre ancien mode de vie (encore en vigueur chez certains peuples qui n’ont pas encore été détruits ou intégrés), basé sur un tribalisme social et la chasse-cueillette pour notre approvisionnement, est un modèle issu de l’évolution et de la sélection, il a donc fait ses preuves. La question est donc posée, cela fait-il 10 000 ans que l’on se trompe ? Les catastrophes que nous vivons ou allons vivre (déplétion des ressources naturelles comme l’eau, le sol, les hydrocarbures) ne sont-elles pas finalement que l’aboutissement de cette voie empruntée il y a 10 000 ans ?

L’agriculture est née dans le croissant fertile (région regroupant Israël, le Liban, Chypre, le Koweït, la Palestine ainsi que des parties de la Jordanie, de la Syrie, de l’Irak, de l’Iran), car c’était la région regroupant le plus d’espèces végétales ou animales susceptibles d’être domestiquées [3]. Pourquoi le berceau « fertile » de l’agriculture est-il devenu un désert ? L’agrandissement de ce désert (le monde perd l’équivalent de la surface de la France en sol tous les ans par érosion [4]) est-il inéluctable ? Les empires se sont pratiquement tous effondrés à cause de leur impact sur leur environnement, notamment dû à la déforestation [5]. Nos sols sont à l’agonie, 90% ont une activité biologique trop faible [4]. Notre civilisation occidentale ne s’est pas encore effondrée car nous utilisons le sol comme un simple substrat que nous gavons d’engrais chimiques synthétisés grâce à des hydrocarbures, ce qui contrecarre les effets de l’érosion et de la mort des sols. Mais le pic énergétique est pour bientôt, et il remettra en cause notre type d’agriculture gourmand en énergie (pour les engrais, les pesticides, les carburants des machines), nous laissant avec nos sols délabrés.


Nous sommes nous trompés ?


 

Histoire et préhistoire de l'humanité

[1] Pour ceux qui se demandent pourquoi la bible fait la part belle à la chasse cueillette, Daniel Quinn développe dans Ishmael une hypothèse selon laquelle la bible aurait emprunté cette histoire au peuple sémite, qui était pastoraliste, et aurait vécu assez longtemps au contact des peuples d’agriculteurs avant de se faire intégrer.

[2] Deux évènements sont généralement associés au début de l’Histoire. Soit c’est la naissance de l’agriculture, soit la naissance de l’écriture. Cette dernière étant apparue par la gestion entraînée par l’agriculture, cela revient finalement au même.

[3] Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés.

[4] Claude Bourguignon, sur Passerelle Éco.

[5] Jared Diamond, Effondrement.

Comment les arbres nous ont façonnés

Nous avons emprunté aux arbres leur verticalité ; c’est grâce à eux que nous sommes debout ; comment grimper a un arbre sans, d’abord, adopter pour notre corps une position verticale ? Notre verticalité est celle des arbres. La brachiation est, ou a été, pratiquée par tous les Homminidés. Outre quelle prédispose à la posture verticale et a la bipèdie au sol, elle se
traduit par une série d’adaptations anatomiques que nous avons conservées : membres antérieurs longs, articulation de l’épaule orientée vers le haut, omoplates dans le dos, cage thoracique large et peu profonde, pouce opposable, doigts effilés portant des ongles au lieu de griffes et dont la pulpe distale est d’une grande sensibilite.

La vie dans la canopee a laissé notre organisation physique porteuse de caractères que nous jugeons avantageux: des yeux rapprochés « en facade », donnant la perception du relief, un cerveau volumineux permettant le traitement rapide et sûr des informations nécessaires au deplacement en trois dimensions tout en restant suffisamment concentrés mentalement pour pallier les risques de chute.

Le rapprochement anatomique de nos yeux s’est fait au détriment de notre région nasale, d’où notre odorat peu développé ; mais il a eu le mérite de nous donner un véritable visage. La vie en société, instaurée initialement pour des raisons de sécurité, a été favorisée à la fois par le developpement de l’intelligence et par l’établissement de relations interpersonnelles rendues possibles par la reconnaissance des visages de ceux qui nous entourent. On sait l’importance du visage dans les mécanismes de la vie sociale.

La vision du relief a fait de nous, potentiellement, des chasseurs habiles à voir les mouvements. La prédation sur du gibier mobile, s’ajoutant à la consommation des ressources alimentaires fournies par les arbres, a fait de nous des omnivores, alignant des dents aux diverses fonctions, incisives, canines et molaires.

[…]

L’habitat canopéen a favorisé la vie diurne ; du coup, nous avons perdu le tapis refléchissant (tapetum lucidurn) que les autres mammifères, majoritairement nocturnes, possèdent au fond de leur rétine : dans la nuit, le faisceau d’une torche dirigé vers un être humain ne lui fait pas briller les yeux. En revanche, la vie diurne a favorisé les déplacements rapides dans le domaine vital, la vie en groupe et les interactions sociales complexes qui rendent possible l’instauration de la culture. Revenons au passage de l’horizontalité a la verticalité. II a nécessairement eu des conséquences sur la position des organes internes, du fait de la gravité, un facteur physique d’une telle permanence qu’il parait banal et que l’on tend à en perdre de vue les effets sur les êtres vivants. Ces modifications « gravitales » ont eté recensées ; les deux plus importantes seraient la descente du larynx et le basculement du bassin. La descente du larynx, en entrainant l’expansion du pharynx, a permis remission de sons articulés, dont nous avons besoin : ainsi est né notre langage. Le basculement du bassin a eu des conséquences plus importantes encore : supportant dorénavant le poids de la tête et de toute la partie antérieure du corps, le bassin est devenu a la fois plus court et plus large. De ce fait, l’accouchement est beaucoup plus difficile chez les bipèdes verticaux que chez les quadrupèdes horizontaux car il a lieu au travers d’une symphyse pelvienne osseuse dont les dimensions sont inextensibles : il s’agit d’une d’une sorte de « naissance avant terme », d’accouchement prématuré, d’où l’immaturité du cerveau à la naissance. Incapable de s’alimenter seul, le petit Homme aura besoin, pour survivre, du secours d’une mère, et il va passer ses premières années à exercer une fonction dans laquelle il excelle : apprendre. L’immaturité du cerveau à la naissance n’est done nullement un handicap, bien au contraire, puisque c’est là que se situe le propre de l’Homme, « son exceptionnelle capacité à apprendre ».

Au bilan, ne devons-nous pas reconnaitre que les arbres ont joué un rôle essentiel dans la mise en place de nos caracteristiques humaines, la verticalité qui libère les mains, la possession d’un visage et la vie en société, l’adoption d’un langage et une capacité d’apprentissage bien supérieure à celle des autres animaux ?

N’est-ce pas par la conjonction de ces caractéristiques qu’en deux cent mille ans, nous sommes passés de la pierre taillée a l’Internet et des cavernes aux voyages interplanétaires ? Ne devrions-nous pas, plutot que de renier les arbres, suivre l’exemple qu’ils nous offrent ? Silencieux et dignes, extraordinairement anciens et pourtant pleins d’avenir, beaux et utiles, autonomes et non violents, les arbres ne sont-ils pas les modèles dont nous avons besoin ?

— Francis Hallé, Plaidoyer pour l’arbre, p. 163