primitivisme

Comment je suis tombé animiste

Comment je suis tombé animiste : L’animisme expliqué par Daniel Quinn, dans The Story Of B, extraits choisis et traduits :

– Ton Dieu écrit avec des mots. Les dieux dont je parle écrivent en galaxies et en systèmes stellaires et en planètes et en océans et en forêts et en baleines et en oiseaux et en moucherons.
– Et qu’est-ce qu’ils écrivent ?
– Eh bien, ils écrivent la physique et la chimie et l’astronomie et l’aérodynamique et la météorologie et la géologie

– Mais comme tu le verras, l’animisme est complètement compatible avec le savoir scientifique. Bien plus compatible que vos religions. […] L’animisme cherche la vérité dans l’univers, pas dans les livres, les révélations ou les autorités. Il en est de même pour la #science. Bien que l’animisme et la science lisent l’univers sous des angles différents, les deux ont une totale confiance dans leur véracité.
– Je vais commencer par le grand secret de la vie de l’animiste, Louis. Quand les autres personnes cherchent Dieu, tu les vois regarder automatiquement vers le ciel. Ils imaginent vraiment que, s’il y a un Dieu, il est loin, très loin— éloigné et intouchable. Je ne sais pas comment ils peuvent supporter de vivre avec un Dieu comme ça, Louis. Vraiment pas. Mais ce n’est pas notre problème. Je t’ai dis que, parmi les animistes sur cette planète, pas un seul ne peut te dire le nombre de dieux. Ils ne connaissent pas ce nombre et moi non plus. Je n’ai jamais rencontré ou entendu parler d’un seul qui se soucie de combien ils sont. Ce qui est important pour eux ce n’est pas combien ils sont, mais ils se trouvent. Si tu vas parmi les Alawa d’Australie ou les Bushmen d’Afrique ou les Navajo d’Amérique du Nord ou les Kreen-Akrore d’Amérique du Sud ou les Onabasulu de Nouvelle Guinée — ou n’importe quels autres parmis les centaines de tribus de chasseurs-cueilleurs que je pourrais nommer —  tu trouveras vite où sont les dieux. Les dieux sont ici.
Je ne veux pas dire , je ne veux pas dire ailleurs, mais ici. Parmi les Alawa : ici. Parmi les Bushmen : ici. Parmi les Navajo : ici. Parmi les Kreen-Akrore : ici. Ce n’est pas une affirmation théologique qu’ils proclament. Les Alawa ne disent pas aux Bushmen : « Vos dieux sont faux, les vrais dieux sont les notres. Les Kreen-Akrore ne disent pas aux Onabasulu : « Vous n’avez pas de dieux, _nous seuls_ avons des dieux. Rien de tel. Ils disent : « Notre lieu est sacré, comme aucun autre lieu dans le mode ». Ils ne penseraient jamais à regarder ailleurs pour trouver les dieux. Les dieux se trouvent parmi eux — vivant où ils vivent. Le dieu est ce qui anime leur lieu. C’est ce que le dieu est. Un dieu est une force étrange qui fait de chaque lieu un lieu — un lieu comme aucun autre dans le monde.

– Contrairement  au Dieu écrit avec une majuscule, nos dieux ne sont pas tout puissants, Louis. Peux-tu l’imaginer ? N’importe lequel peut être vaincu par un lance-flammes ou un bulldozer ou une bombe— réduit au silence, éloigné, affaibli. Assis-toi  au mileu d’un centre commercial à minuit, entouré par des centaines de mètres de béton dans toutes les directions, et là le dieu qui était naguère aussi fort qu’un buffle ou qu’un rhinocéros, est aussi faible qu’une mite gazée à la pyréthrine. Faible — mais pas mort, pas complètement éradiqué. Rase le centre commercial et détruit le béton, et en quelques jours, l’endroit va résonner de vie à nouveau. Il n’y a rien de plus à faire que de retirer les poisons. Le dieu sait comment s’occuper de ce lieu. Il ne sera plus jamais comme avant, mais rien ne reste indéfiniment comme avant. Il n’y a pas besoin que ce soit comme avant.

La patate indienne, une plante d’avenir pour les permaculteurs et les primitivistes

Qui mieux que la patate indienne Apios americana — pourrait concrétiser ce que j’ai pu écrire sur la permaculture ou le primitivisme ?

C’est avant tout un tubercule qui peut prétendre à fournir notre base de subsistance. Même s’il est important de faire pousser des légumes et des fruits dans son jardin pour nous apporter nutriments, vitamines et diversité, le plus important est de faire pousser sa base de subsistance pour ne plus dépendre de systèmes globaux et fragiles, le plus souvent basés sur des céréales annuelles avec les conséquences désastreuses que l’on connaît sur la santé et les sols. De ce côté là la patate indienne excelle, puisqu’elle fournit une bonne base énergétique et contient jusqu’à 16% de protéines, soit trois fois plus que les pommes de terre. Elle a l’énorme avantage d’être consommable crue, contrairement à la pomme de terre ou aux céréales, ce qui peut s’avérer vital dans certaines situations. Elle offre aussi une saveur neutre — qui serait entre la pomme de terre, la cacahuète et la patate douce — ce qui est toujours un avantage pour une base alimentaire. Outre ses tubercules, elle peut aussi produire des haricots hautement protéiques, mais cette production serait assez erratique et dépendrait de la génétique (caractère diploïque), de la variété et du climat.

Sa culture au jardin est également très intéressante. C’est tout d’abord une légumineuse, qui peut utiliser l’azote présent abondamment dans l’air pour sa propre croissance. Elle peut donc pousser dans des sols relativement peu fertiles, et est très vigoureuse car elle génère son propre engrais en quelque sorte. Elle serait également capable de supporter des sols assez humides, là où il serait difficile de faire pousser d’autres plantes pérennes. Du côté, agronomique, elle a tout pour faire rêver le permaculteur. Elle fait donc partie des rares plantes vivaces comestibles fixatrices d’azote. Elle peut se multiplier de manière végétative (se cloner) facilement par les tubercules. Elle ne connaît pas de maladies ou parasites sérieux. Elle est assez rustique pour rester dans le sol le nombre d’années que l’on veut. Elle peut même devenir envahissante !

Elle a quelques défauts mineurs, mais ces défauts de culture sont autant de qualités pour une culture post-industrielle primitiviste ! En effet, les tubercules des variétés non sélectionnées peuvent être assez petits. De plus la patate indienne met quelques années avant de s’implanter et de devenir luxuriante. Autant d’inconvénients qui en font un mauvais candidat pour une exploitation industrielle, car c’est une vivace qui ne se prête pas à une culture annualisée comme la pomme de terre. L’énorme avantage de la patate indienne est que l’on peut la stocker dans le sol, et la déterrer pour consommation à n’importe quel moment de l’année. Elle ne se stocke pas bien en dehors du sol, telle quelle, à moins d’être maintenue humide (sinon elle meurt) et au froid (sinon elle germe), dans du sable ou du terreau par exemple. Elle n’offre donc pas les qualités exceptionnelles de stockage et de densité nutritionnelle des céréales, ce qui en fait un mauvais candidat non seulement pour l’industrie, mais aussi pour la civilisation qui a besoin de pouvoir stocker, distribuer, saisir, protéger et taxer la base de subsistance du peuple. Les patates indiennes ne peuvent pas être brûlées comme un champs de céréales ou saisies par une armée en campagne. Elles ne peuvent pas être taxées sur la base d’une quantité ou d’une superficie cultivée. Par contre n’importe qui peut aller déterrer des tubercules n’importe quand pour les manger ou commencer une culture ailleurs.
Les patates indiennes peuvent cependant être séchées et réduites en poudre ce qui permet de concentrer et stocker la nourriture comme c’est le cas pour les céréales. Cela permet d’avoir un stock facilement utilisable à disposition. Ce processus très simple à réaliser pour n’importe qui disposant d’un four ou d’un feu, mais n’est toujours pas industrialisable car la culture de la patate indienne ne peut pas être rationalisée pour les raisons évoquées précédemment.

Toutes ces caractéristiques en font une plante de choix pour un futur post-industriel, avec une production plus locale et décentralisée, intégrée dans des systèmes cultivés complexes, reproductible et mouvante, insaisissable.

Histoire de microbes

Certains microbes, aussi, [bénéficient de la civilisation]. La civilisation a été un tel avantage pour de nombreux microbes qui se nourrissent des humains (en particulier d’humains stressés, dans des logements contigus), que j’ai lu des arguments convaincants selon lesquels ce sont les microbes, et non les humains, qui sont à l’origine des villes, qui dans cette perspective ne sont rien de plus que des parcs d’engraissement et des fermes industrielles. (Je me demande toujours s’il y a des activistes des « droits des humains » parmi les microbes, qui se plaignent des conditions de vie intolérables et « immicrobiennes » que les humains sont forcés d’endurer dans les villes : « il est normal de les manger, » disent ces activistes viraux, « mais il devraient vivre avec dignité avant tout ! »).

— Derrick Jensen, Endgame vol. 1, p. 192.

Ishmael

Bonne année à tous !

en cadeau, je vous livre le fruit du travail de quelques passionnés des livres de Daniel Quinn, qui ont numérisé le livre Ishmael, qui n’est plus édité depuis des années et très difficile à trouver.

C’est sans doute le livre qui m’a le plus marqué, et le meilleur des livres non-techniques de ma bibliothèque. Lecture vivement recommandée !

Fichier PDF pour lecture à l’écran (326 p.)

Fichier PDF pour impression (100 p.)

Site internet de l’initiative.

« Professeur cherche élève souhaitant vraiment sauver le monde. » Un homme d’une trentaine d’années, cherchant, un sens à sa vie, répond à cette annonce et découvre que le professeur est un gorille nommé Ishmael. S’engage alors entre eux un dialogue socratique surprenant, drôle et profond, sur de grandes questions tout à la fois philosophiques, historiques et morales : comment le monde en est-il arrivé là au fil des siècles? Peut-on encore sauver la Terre et Mère Nature en dépit des dommages qui leur ont été infligés? Ishmael met en cause notre modèle de civilisation et notre notion du progrès. Il raconte comment l’histoire des hommes aurait pu être celle de toute la communauté du monde vivant. Alors surgit une question : le gorille une fois disparu, y aurat-il un espoir pour l’homme?

Lire la suite.

De la permaculture au primitivisme

Comment la permaculture m’a amené à me poser des questions sur l’agriculture et la civilisation.

La permaculture est une méthode de conception de systèmes permettant de combler les besoins humains fondamentaux (nourriture, abris, etc.). Dans l’idéal, ces systèmes doivent êtres productifs, demander une faible maintenance, et être en « bonne santé » écologique. Pour se faire, les systèmes mis en place devraient prendre modèle sur les écosystèmes naturels, qui ont déjà ces caractéristiques — mise à part celle d’être très productifs en denrées  consommables par les humains. Ces caractéristiques émergent du mécanisme de l’évolution : les systèmes naturels qui se sont perpétués ont subi une sélection sur leur potentiel à capter, conserver et recycler les différentes ressources à leur disposition (soleil, eau, nutriments). Les systèmes sauvages que nous observons fonctionnent, autant nous en inspirer. Par exemple pour l’élevage du bétail, on peut s’inspirer des écosystèmes des grands herbivores.

Lorsqu’on commence à s’intéresser à la manière dont les systèmes naturels fonctionnent, on  comprend à quel point l’agriculture — pas seulement industrielle, mais depuis dix millénaires — est terriblement inefficace et destructrice, et à quel point permaculture et agriculture sont différentes. Au contraire, la beauté de certains systèmes agroforestiers de peuples tropicaux ou la gestion des écosystèmes par les peuples primitifs sautent aux yeux — malheureusement pas à ceux des premiers colons européens. La permaculture s’est beaucoup inspirée des systèmes de production tropicaux des peuples horticoles, et je considère la permaculture comme une néo-horticulture (qui vient de hortus, le jardin) plutôt que comme une nouvelle forme d’agriculture (d’ager, le champ), qu’elle soit permanente, durable ou autre — si c’est seulement possible.

Le primitivisme est une théorie selon laquelle la condition humaine a décliné depuis l’invention de la civilisation, puis de l’industrialisation. Le primitivisme se base comme sur la permaculture sur le mécanisme de l’évolution et sur l’étude de systèmes naturels. S’il ne semble pas absurde, lorsqu’on veut élever des poules en permaculture, de regarder leur environnement naturel et leurs comportements (alimentaires, sociaux, sexuels,etc.) pour s’en rapprocher au mieux et éviter le stress en apportant l’environnement dans lequel l’animal puisse s’épanouir, pourquoi ne pas faire la même chose pour l’animal humain ? Là où la permaculture s’intéressera à l’écologie de la forêt, l’éthologie, la géologie; le primitivisme regardera du côté de l’ethnologie, l’ethnobotanique, la paléo-anthropologie et l’archéologie. Tout comme on peut voir émerger dans les écosystèmes des patterns (un type de solution performant qui a été adopté par l’évolution/l’expérience pour résoudre un type de problème) récurrents, l’étude des sociétés humaines primitives montrent des habitudes quelque soit la région du monde des peuples étudiés : organisation sociale, mode d’alimentation, spiritualité, etc. Les connaître et les appliquer pourrait peut être apporter des solutions qui fonctionnent.

Plus tôt dans ce texte j’ai parlé de néo-horticulture. En effet la permaculture est un concept moderne qui ne date que des années 1970, même s’il se base sur des pratiques qui peuvent être millénaires. En effet tout concept s’inscrit dans un contexte, et la permaculture n’est pas une horticulture traditionnelle. Elle se veut une solution moderne (ou actuelle) à des problématiques modernes, avec des outils modernes. Par exemple, le « Permaculture designers’ manual » contient un chapitre sur les terrassements avec des engins de chantier. Si ces travaux utilisant une lourde machinerie permettent de mettre en place des systèmes qui dureront dans le temps en répondant aux besoins humains de manière non-énergivore et non-polluante, pourquoi pas ?

De même les primitivistes (en tout cas une partie d’entre eux) ne cherchent pas à vivre comme les peuples primitifs, car le contexte est différent. Le primitivisme cherche dans les peuples primitifs des modèles qui fonctionnent pour les appliquer à nos sociétés modernes, pour réorienter leurs trajectoires. Il s’agit plus d’un néo-primitivisme, dont sont issus ou qui inclut des concepts comme le néo-tribalisme, le néo-animisme, la permaculture, etc. (mais j’y reviendrais plus tard).

La permaculture et le primitivisme ont donc de nombreux points communs. Il s’agit de trouver des solutions d’actualité aux nombreux problèmes qui se posent en ce moment et qui vont s’amplifier dans le futur. Ces solutions sont basées sur les systèmes naturels, qui sont le résultat de tests parfois effectués sur des millions d’années.  La permaculture serait ainsi une branche du primitivisme, la première cherchant une méthode pour produire de la nourriture tout en respectant les mécanismes de l’évolution, et la seconde une méthode pour vivre en respectant ces même mécanismes.

Pour finir, le recommande à tous les anglophones de visionner cette conférence de Toby Hemenway, auteur de « Gaïa’s Garden, A Guide to Home-Scale Permaculture », intitulée « How Permaculture Can Save Humanity and the Earth, but Not Civilization« :

Pourquoi je suis omnivore

Cet article complète l’article La viande, l’élevage et l’avenir de l’Homme et de la planète, dans lequel je donnais ma vision des arguments végétariens. Il reprend des éléments qui ont surgi lors d’une conversation houleuse qui a duré des semaines (des mois ?) sur un forum végétarien.

Chasseur-cueilleur de la tribu des Hadza, Tanzanie.

Tout d’abord, je tiens à clarifier ce que j’entends par le terme « omnivore ». En effet ce terme a été phagocyté par le débat « végétariens contre non-végétariens », si bien que dans la conscience collective il se place dans le même contexte que « notre » végétarisme — pays industrialisés, populations urbaines — mais il diffère de ce dernier par la consommation de viande (et la non consommation de bizarreries comme les graines germées, les algues, le seïtan, le tofu, etc.).

Or le terme « omnivore » a un sens bien particulier en biologie. Il définit le régime alimentaire d’animaux qui consomment une grande diversité d’aliments. L’espèce Homo est une espèce omnivore, et mon omnivorisme se rapporte au régime alimentaire de l’animal humain. Et ce régime alimentaire est bien évidemment celui avec lequel a évolué notre espèce, c’est à dire une alimentation faite de plantes, de fruits, de noix, de viandes, d’œufs, de poissons, de crustacés. Et c’est également une alimentation dépourvue de céréales, de légumineuses, de sucres, d’alcool, et de substances de synthèses. Le régime omnivore est pour moi un régime alimentaire de type paléolithique ou ancestral (j’en reparlerai plus longuement dans un futur article).

Mon opposition avec les végétariens — mais surtout les végétaliens — se place donc sur deux gros points : la consommation d’animaux et de produits animaux, et le rejet du couple céréales/légumineuses.

Ceci étant dit, voici mes arguments pour l’omnivorisme, sous une forme assez analogue à celle des arguments pour le végétarisme.

Pour la santé

Je pense que personne ira critiquer le régime alimentaire des ours, des salamandres ou des condors. Il semble évident que ces espèces ont une alimentation optimale, garantie par les principes de l’évolution. De même, on peut raisonnablement penser que l’espèce humaine a trouvé son alimentation optimale depuis qu’elle a dû descendre des arbres et des singes d’Afrique, il y a 7 ou 8 millions d’années.

Cet argument de principe est étayé par des études ethnologiques et archéologiques, qui montrent une nette diminution de tous les indicateurs de santé lors du passage à l’agriculture il y a 10 000 ans1. Une étude détaillée de la valeur alimentaire du blé — la culture emblématique et essentielle de notre civilisation — corrobore ce résultat2.

Si on revient sur la vision biologique de l’omnivorisme, ce régime alimentaire est une formidable opportunité du point de vue évolutif, puisqu’il nous permet de manger une grande variété d’aliments. Mais il s’accompagne aussi d’un inconvénient, c’est celui d’être dépendant d’un grand nombre de produits alimentaires différents pour combler nos besoins physiologiques. Manger un régime adapté à notre espèce permet d’éviter des carences potentielles. A ce sujet, le sempiternel débat sur les carences en vitamine B12 chez les végétaliens est révélateur. Malgré une lecture assidue sur le sujet, je ne suis toujours pas en mesure de répondre clairement : il y aurait de la B12 dans le levures, mais peut-être pas; notre colon génèrerait de la B12, mais trop bas pour être assimilée; les analyses de végétaliens ne montreraient aucune carence, mais ces chiffres pourraient être faussés par la consommation d’algues … bref personnellement je préfère ne pas m’en remettre au hasard ou aux arguments de blogs concernant l’obtention de mes vitamines …

Pour l’environnement

Un fait qui n’est pas souvent évoqué est que les animaux vivent dans — et font partie d’ — écosystèmes matures, c’est à dire dominés par des espèces vivaces. La seule espèce contenant des spécimens qui vivent en grande majorité d’une alimentation basée sur des espèces annuelles est l’humain, depuis l’invention de l’agriculture.

L’élevage de n’importe quel animal , s’il est pensé correctement, peut être conduit sur des systèmes de plantes vivaces. Bien sûr tout l’enjeu de l’élevage industriel a été de baser les méthodes de production sur des systèmes annuels (les céréales et les oléagineux). D’ailleurs personnellement je ne pense pas que c’est l’élevage qui absorbe les céréales, mais que les animaux sont juste un débouché de plus pour ces dernières, à côté des carburants, du sucre, du carton ou de la colle (c’est fou ce qu’on peut faire avec du maïs, entre autre). Il faut bien comprendre que les céréales — blé en Europe, maïs aux Amériques, riz en Asie– ont façonné le monde politiquement, socialement, écologiquement, idéologiquement depuis dix millénaires.

L’élevage peut donc être mené dans des systèmes matures, contrairement aux céréales qui par définition demandent des milieux instables (le milieu naturel des céréales étant les plaines alluviales recevant de grosses perturbations et une grande fertilité lors des crues, tout comme dans nos champs). Les ancêtres des cochons et des poules vivaient dans des forêts, et nous pourrions donc recréer des forêts orientées vers la production de fourrage pour leurs descendants domestiqués (et en parallèle de nourriture pour nous, en plus des animaux eux-mêmes). Cela permettrait même à la forêt (ou une sorte de forêt, qui serait une forêt d’un point de vue écologique, mais dont les espèces auraient été changées) de regagner de l’espace sur nos monocultures plates de céréales et de légumineuses. Les vaches quant à elles peuvent être élevées sur des prairies permanentes.

Pour la faim dans le monde (enfin, contre)

Mon omnivorisme n’a pas prétention à sauver le monde de la faim. Je voudrais cependant préciser que la consommation d’une vache bien élevée n’ôte pas le pain de la bouche des africains, puisque cette dernière consomme de l’herbe, et non pas du blé, du maïs et du soja.

Mais l’omnivorisme pourrait aider les populations qui ont faim. Plutôt que leur envoyer des céréales de l’autre bout du monde — ce qui est la solution choisie par les végétariens qui avancent l’argument de la faim dans le monde –, l’élevage pourrait aider les populations locales à restaurer leurs écosystèmes, et donc leur capacité à les nourrir. Si on superpose la carte de la faim dans le monde, et la carte des biomes terrestres, on s’aperçoit que la zone la plus exposée se situe en Afrique, sur une région dont le biome est la savane. Or qu’est ce qu’une savane ? une zone dominée par les herbes et les grands troupeaux d’herbivores. En utilisant l’Holistic Management, une méthode d’élevage intégrée qui simule le comportement naturel des grands troupeaux — forte densité et mouvement pour échapper aux prédateurs — les éleveurs améliorent le sol et y stockent du carbone3.

Par éthique

Je ne pense pas que l’humain soit supérieur aux autres animaux. Le végétarisme, paradoxalement, me semble être une éthique anthropocentrée. Le principe est le suivant : il est mal de manger des animaux car ces dernier ressentent de la douleur ou des émotions — comme nous. Cependant, je ne pense pas que les végétariens (ayant un minimum de bon sens) condamnent les loups, les ours ou les fourmis pour leur consommation de viande. Ce à quoi les végétariens rétorquent que nous avons une conscience, et que puisque l’agriculture nous donne le choix de nous nourrir sans consommer d’animaux, il devient immoral d’en tuer. On arrive donc au paradoxe suivant : les végétariens refusent l’argument suivant lequel on peut manger d’autres animaux car nous serions supérieurs, mais eux-mêmes refusent de manger de la viande car l’Homme serait supérieur.
Ma position éthique est que l’on peut manger d’autres animaux, justement parce que l’humain est un animal — omnivore — comme les autres, et qu’il est aussi normal pour un humain de manger du poisson que pour un ours. Il n’y a pas de relation de domination dans le fait de manger un autre animal, mais une relation écologique proie/prédateur. La domination peut éventuellement se cacher dans la domestication (animale ou végétale), mais c’est un problème qui n’est pas relié avec le fait de manger ou non de la viande.

Contrairement à l’éthique végétarienne qui se base sur l’individu ou l’espèce — la vache qui part à l’abattoir ou telle espèce qui aurait ou non un système nerveux — mon éthique se base sur des écosystèmes. C’est à dire sur les interrelations fonctionnelles entre les différents constituants d’un système naturel — les membres de la biocénose et du biotope. En copiant les dynamiques des écosystèmes, comme cherche à le faire la permaculture, on construit des systèmes diversifiés, résilients, autonomes et efficaces.

L’efficacité d’un régime végétarien en termes environnementaux se base souvent sur la superficie pour nourrir une certaine quantité de personnes. Mais cette vision, qui a le mérite d’être pragmatique, montre à quel point le végétarisme est ancré dans notre contexte culturel actuel. La superficie en terme d’efficacité ne fait sens uniquement parce que nous sommes trop nombreux, et que nous avons ou allons atteindre les limites de notre expansion, en terme de terres arables disponibles. Plutôt que de nous questionner sur la place de l’humain en tant qu’animal parmi les autres êtres vivants ou non vivant, le végétarisme nous dit que la situation n’est pas anormale et que nous pourrions nourrir 6 voire 9 milliards d’humains. Ce qui au passage montre de nouveau que la végétarisme est centré sur l’humain — je n’ai jamais entendu quelqu’un qui proposait que les terres, céréalières ou non, sauvées de l’élevage soient transformées en réserves, mais seulement qu’elles permettent de nourrir plus d’humains.
Pour en revenir à la superficie, personne ne va prendre la superficie pour juger de l’efficacité de la stratégie d’alimentation du lion ou du papillon. L’efficacité d’un régime alimentaire, c’est une efficacité au regard de l’évolution. C’est donc le ratio entre l’énergie que l’on obtient d’une stratégie de subsistance, et l’énergie qu’elle requiert. Attention, cela n’a rien à voir avec le ratio de conversion énergétique (le fameux 1kg de protéines animales = 10kg de protéines végétales), qui n’est qu’une reformulation de l’argument de superficie. Même si un animal domestique « perd » de l’énergie pour se nourrir ou se maintenir à température constante, cette énergie n’est pas comptabilisée dans le bilan énergétique. En clair, si on tue et qu’on mange une vache, le retour sur investissement sera l’énergie apportée par la viande de la vache, divisée par la dépense énergétique pour tuer (et élever) la vache, mais pas le potentiel énergétique de l’herbe consommée par la vache (qui est de toute façon nul pour les humains).

Mon éthique se base donc sur la recherche d’un mode de subsistance soutenable, qui se base sur une alimentation ancestrale, et un mode de production permaculturel. Car notre problème principal n’est pas que nous utilisons trop de surface pour nourrir une personne, mais que nous avons une stratégie alimentaire qui n’est tout simplement pas efficace d’un point de vue évolutionniste : trop d’énergie utilisée, trop de systèmes annuels, pas assez de diversification, etc.

Conclusion

Comme Lierre Keith, je pense que la seule chose qui me sépare des végétaliens est l’information. L’argumentaire végétalien semble au premier abord très complet : écologie, justice sociale, éthique, etc. J’ai d’ailleurs été tenté d’y croire. Mais, lorsqu’à travers la permaculture j’ai appris certaines choses dans les domaines de l’écologie, de l’éthologie, de l’anthropologie et de l’agriculture, je me suis aperçu que le cadre de pensée du végétalisme était la société industrielle et non pas l’animal humain. Et il me semble que c’est par le concept d’animal humain que nous arriverons à développer une société post-industrielle épanouissante et soutenable. Epanouissante car le monde non humain aura retrouvé sa place parmi nous, et soutenable car nous aurons retrouvé notre place parmi le monde non-humain.

La réflexion se poursuit dans l’articlePlaidoyer pour l’élevage.

PS: je parle plus particulièrement du végétalisme car je pense que le végétalisme et l’omnivorisme sont antagonistes (par exemple il y a fort à parier qu’un végétalien sera contre l’élevage). Je vois dans le végétalisme une forte contradiction, puisque les céréales sont souvent un point essentiel de ce régime, et que leur culture nécessite soit du fumier (issu donc de l’exploitation animale) soit des engrais de synthèse (et je n’y vois aucune justification éthique). En revanche, le végétarisme peut être adapté pour être en grande partie compatible avec l’omnivorisme (l’élevage est autorisé, l’absorption de produits animaux permet de se passer des céréales — en définitive la seule différence non négociable est de ne pas manger les animaux élevés, ce qui représente juste une grosse perte d’efficacité).

PS 2: Pour ceux qui se demandent si le choix de la photo a pour but de choquer ou de provoquer, je dirai que j’ai choisi cette image car (a) je la trouve belle, (b) je respecte les peuples de chasseurs-cueilleurs, (c) je la trouve saisissante, et même si je trouve légitime de prendre la vie d’un animal pour s’en nourrir, l’acte ne sera jamais anodin, (d) elle illustre le biome de la savane dont j’ai parlé.

Notes & Références

  1. Biological changes in human populations with agriculture, CS Larsen. Annual Review of Anthropology 1995. 24:185-213.
  2. Cereal grains: humanity’s double-edged sword., Lorain Cordain. World Review on Nutritional Diet. 1999;84:19-73.
  3. ‘Holistic grazing’ wins sustainable practice award, SciDev (juillet 2010).

Petit dictionnaire d’ethnologie humaine

Voici ce que pourrait écrire un extra-terrestre en mission de reconnaissance scientifique sur Terre, au sujet de notre espèce.

Agriculture
Domestication par les humains de leur nourriture. Proto-domestication des humains qui doivent désormais occuper la majeure partie de leur temps à faire pousser ou élever leur base de subsistance, jusque là prélevée dans la nature Activité minière consistant à retourner et emporter au loin le sol pour en extraire de la nourriture, par un processus d’érosion.

Agriculture industrielle
Utilisation du sol comme substrat pour transformer le pétrole en nourriture et en pollution.

Argent
Élément nécessaire aux humains civilisés pour pouvoir dormir dans un abri, manger, et dans certaines parties de la planète pour boire de l’eau potable  ou respirer un air pur. Les humains civilisés doivent donner régulièrement de l’argent pour faire partie d’une civilisation (si un humain civilisé ne donne pas cet argent, il ne devient pas sauvage pour autant. Les élites feront dans cette éventualité usage de la violence pour récupérer l’argent dû).

Bureau
Boite dans laquelle s’enferment les humains civilisés pour gagner de l’argent.

Civilisation
syn. domestication
Aboutissement du processus de proto-domestication engagé par l’agriculture, dans lequel l’activité des humains est d’avoir un travail. Anciennement, les humains civilisés avaient accès à des champs la majeure partie de leur vie , mais après leur industrialisation, les humains ont été confinés dans des habitats, des bureaux ou des écoles, en contrepartie d’une ration alimentaire plus importante (cependant inadaptée). Comme chez les autres animaux, la domestication des humains a affecté leur santé et leur stature par rapport à leurs homologues sauvages, mais a permis une croissance de leur population et de leur docilité.

Commerce
Guerre sans violence directe.

Démocratie
Forme de gouvernance dans laquelle les humains civilisés choisissent toute ou partie de l’élite qui les gouvernent.

Désert
Forêt qui a servit de substrat a une civilisation.

Domestication
cf. Civilisation

École
Boite dans laquelle les humains apprennent à vivre dans des boites et gagner de l’argent.

Économie
Explication et justification du travail comme condition nécessaire d’accès à une existence.

Élite
Humains civilisés gérant une civilisation. L’élite est réservée aux humains civilisés riches.

Esclavage
Travail ne donnant pas droit à de l’argent Travail.

Force
cf. Violence

Forces de l’ordre
syn. Gardiens de la paix
Gardiens de la paix de l’ordre en place par la force.

Forêt
Substrat et matière première d’une civilisation. La civilisation détruit la forêt pour faire de l’agriculture, se chauffer, construire des habitats et faire de l’industrie.

Guerre
Extension légitimée d’une civilisation pour cause d’agriculture, de commerce, de religion ou de matières premières.

Habitat
Boite attribuée à un humain civilisé pour se mettre à l’abri et dormir. Les humains civilisés riches possèdent leurs propres habitats, tandis que les humains civilisés pauvres doivent donner de l’argent régulièrement aux humains civilisés riches pour utiliser leurs habitats inutilisés.

Loi
Règle édictée par l’élite d’une civilisation ayant pour but de conforter et favoriser cette élite. Tout manquement jugé grave à une règle implique l’utilisation de la violence.

Libre échange
Activité de commerce dans laquelle les pays pauvres envoient des matières premières aux pays riches, et les pays riches envoient des forces de l’ordre et des bombes aux pays pauvres.

Matière première
Membre vivant ou non vivant de l’écosphère objectifié pour servir à la civilisation ou l’industrie.

Religion
Explication et justification de la domestication et du travail comme condition nécessaire d’accès à une existence libre et sans travail, en dehors des limites de la planète.

Retraite
Explication et justification du travail comme condition nécessaire d’accès à une existence sans travail (mais avec argent).

Riche
contr. Pauvre
Humain civilisé possédant plus d’argent que la moyenne des humains de la civilisation à laquelle il appartient. Un humain riche vaut plus qu’un humain pauvre qui vaut plus qu’un sauvage.

Sauvage
syn. Primitif
contr. Civilisé
Animal humain en liberté.

Science
Religion moderne. Contrairement à la religion, la vérité ne se situe plus au dessus de la surface de la planète, mais en dessous, dans les calculs, les atomes et les éprouvettes.

Travail
Activité des humains civilisés consistant à gagner de l’argent. Les humains civilisés vivent pour travailler ou travaillent pour vivre, alors que les humains sauvages vivent pour vivre ou vivent.

Violence
syn. Force
Action interdite par la loi aux humains civilisés pauvres et utilisée par l’élite à travers les forces de l’ordre pour faire appliquer la loi.

Pour une douche chaude

Pointer le fait que la production de masse va à l’encontre de ce qui est nécessaire à une bonne culture et est incompatible avec notre survie à long terme ne veut pas dire que que je n’aime pas les douches chaudes, le baseball, les bons livres ou Beethoven. Je souhaiterais que les choses que nous produisons — les bonnes choses au moins — soient séparables du processus plus global : je souhaiterais que nous puissions avoir des douches chaudes sans construire de barrages ni de centrales nucléaires.

Dans une certaine mesure ceci est possible. Ca ne prendrait pas longtemps pour mettre en place un système pour chauffer l’eau sur mon poele à bois, et la verser dans un réservoir qui fait couler l’eau lorsque je tire sur une corde. Mais où trouverais-je le métal et le verre pour le poele ? Où trouverais-je la corde, ou le réservoir ? Où trouverais-je le bois ? Il semble que nous nous soyons mis nous-mêmes dans une impasse.

[…]
Vous pouvez dire que je suis fou de suggérer que les douches chaudes se basent sur les barrages, les centrales nucléaires, les bombes à hydrogène et le napalm. Moi je pense qu’il est encore plus fou d’avoir construit toutes ces choses si on peut avoir des douches chaudes sans elles.

— Derrick Jensen,A Language Older Than Words, p. 278-82

La nature

Cela fait déjà quelques temps que j’essaie de définir le concept de nature, et ce n’est pas évident. Pourtant j’ai le sentiment qu’une vérité fondamentale se cache derrière notre rapport à la nature, selon que l’on vivra « avec ou contre », « en harmonie ou en guerre », « version aïkido ou  karaté ». Or donc faut-il encore savoir de quoi on parle. Plutôt que de lire et synthétiser de gros pavés philosophiques ou métaphysiques qui ne doivent pas manquer d’exister sur la question, j’ai décidé de tenter une définition personnelle, en me basant sur ce que j’ai appris de la science permaculturelle, et de situations précises dans lesquelles je crois voir ou ne pas voir la présence de Dame Nature.

L’image la plus parlante, qui s’est révélée au cours de l’écriture de cet article, est que la nature est une mise en scène de la vie. Voyons ça de plus près.

La nature dans toute sa splendeur. Jungle du Laos.

La vie

La vie est apparue il y a un peu plus de trois milliards d’années. Définir la vie serait assez compliqué, mais comme tout le monde comprend ce que c’est, l’exercice ne s’impose pas. Le but de la vie semble être de se perpétuer. On peut placer ce désir aussi bien au niveau du gêne — avec la théorie du gêne égoïste de Richard Dawkins qui prétend que les formes vivantes ne seraient que des véhicules forgés par les gênes comme stratégie de perpétuation — que de la planète toute entière — c’est l’hypothèse biogéochimique de James Lovelock, selon laquelle l’ensemble de la biosphère terrestre participe au maintien de conditions propices à la perpétuation de la vie. Entre les deux, les espèces ont édifié (édifient) des stratégies pour survivre. Elles concernent plus précisément la capture et le stockage de l’énergie, de l’eau et des nutriments nécessaires à leur survie; la défense envers des organismes prédateurs ou parasites; et la reproduction.

Pour se perpétuer, la vie doit pouvoir s’adapter — évoluer. Cette évolution se passe en deux temps : tout d’abord des mutations génétiques spontanées introduisent une diversité génétique; ensuite, ces mutations se propagent par sélection naturelle si elles offrent des avantages évolutifs. Elles peuvent également rester en dormance dans une petite partie de la population et se propager si les conditions changent pour les rendre avantageuses.

Les stratégies de survie sont influencées par les biotopes — milieux physico-chimiques — dans lesquels les espèces évoluent (le théâtre et les décors), caractérisés principalement par l’intensité et la répartition de la pluviométrie et des températures. La vie peuplant ces biotopes a produit des biomes qui divisent la planète en grandes zones : forêts tropicales, forêts tempérées, savanes, maquis méditerranéen, déserts, toundra … caractérisées par leur faune et leur flore. Ces grandes catégories d’écosystèmes sont le résultat de la sélection naturelle concernant les stratégies de survie. Nous avons tendance à considérer cette survie comme une compétition, la « loi de la jungle », mais il est aujourd’hui évident qu’il s’agit plus de coopération. Les actions de la biocénose (la faune et la flore) d’un écosystème appartenant à un biome tendent toujours vers l’édification ou la perpétuation du climax écologique caractéristique de ce biome. Ainsi dans nos régions tempérées humides, un champ laissé à l’abandon deviendra après quelques décennies une forêt caducifoliée.

Or pour édifier la pièce de théâtre, le jeu d’acteur est indispensable. La vie, représentée dans cette métaphore par les humains sur les planches, a besoin de se parer de rôles (écologiques) et d’interagir pour jouer la pièce. Lorsqu’une perturbation a lieu (feu de forêt, inondation, tremblement de terre, coupe franche ou labour), toute une chaîne d’actions se met en place pour retourner à un état stable, une homéostasie. Se mettent tout d’abord en place ce qu’on appelle les « mauvaises herbes », qu’on considère mauvaises seulement parce qu’elles se mettent sur notre chemin, amoureusement retourné au tracteur. Elles ont pour but de panser les plaies infligées par les perturbations, en quelque sorte une mesure d’urgence pour éviter la perte de nutriments. La biomasse créée permet de protéger le sol de l’action érosive du soleil, du vent et de l’eau. Les racines traçantes permettent de maintenir le sol en place. Le sol est enrichi en azote et divers minéraux. Ces premiers stades permettent de préparer la venue des espèces plus matures. Les ronces par exemple permettent de supprimer l’herbe par leur ombrage (les graminées empêchent les arbres de pousser à cause d’une substance sécrétée par leurs racines, et sont en compétition pour l’eau), de mobiliser des éléments nutritifs qu’ils redistribuent lors de la chute des feuilles, et protègent les arbres des herbivores grâce à leurs épines.

La coopération se trouve également à l’intérieur de chaque succession. Les espèces ont généralement co-évoluées en polycultures, où chaque élément assure une fonction écologique : protection contre les prédateurs, couvres-sol, mobilisateurs de minéraux, supports … Ce partenariat écologique est particulièrement visible entre les espèces animales et végétales. Les espèces végétales dépendent souvent des animaux pour leur reproduction, utilisant la motricité de ces derniers pour disperser leurs progéniture au loin. Ainsi les graines se sont parées d’une paroi charnue, formant un fruit qui est ingéré par un animal, et dont les graines sont restituées plus loin dans un paquet nutritif que sont les déjections; ou tout simplement de crochets permettant de s’accrocher à la fourrure de certains animaux.

Théâtre de rue

Voici décrit le théâtre de la vie. Nous avons le biotope (la scène et le décor), la vie (les personnes sur scène), l’évolution (le scénario) et enfin la nature (la représentation).
Pour reformuler, la nature émerge du rôle de la vie (interactions fonctionnelles) étant données des contraintes évolutionnistes (stratégies de perpétuation) et un milieu donné (modalités de la perpétuation).

La nature peut être définie globalement, mais ses manifestations et la perception que nous en avons sont toujours locales, et une même pièce de théâtre sera interprétée différemment suivant le contexte. La nature se trouve présente à chaque fois que l’on voit la pièce de théâtre se dérouler, même si ce qu’on en perçoit n’est qu’un court extrait, et que la scène semble se dérouler malgré tout.

Et l’Homme ?

Il reste une question importante et épineuse, le rôle d’Homo sapiens dans le théâtre. En effet la nature et la vie sauvage sont souvent opposées à la culture et à l’humain civilisé. Il faut dire que le « malgré tout » prend toute sa signification concernant nos sociétés et la nature.

Comme nous l’avons vu, les biomes résultent d’une coévolution de ses différents membres. Ainsi toute espèce a une influence, et toute espèce « jardine » son environnement, pour le rendre (inconsciemment ou non) plus propice à sa survie. Par exemple les animaux frugivores ensemencent le milieu des graines de leurs arbres préférés, les herbivores favorisent la croissance des graminées en les broutant, et les carnivores régulent les populations de leurs proies des éléments les plus faibles. En ce sens les humains, comme chaque espèce, modifient leur environnement.

La maitrise de la nature

Cependant l’humain, grâce à la maitrise du feu et des outils, a pu augmenter considérablement son influence. Contrairement à ce que l’on pense généralement, les peuples de chasseurs-cueilleurs préhistoriques ou modernes modifi(a)ent largement leur environnement grâce aux feux déclenchés selon un modèle bien précis. Ces feux simulent une catastrophe naturelle, et favorisent des systèmes plus nourriciers pour les humains, comme les baies et les herbivores associés aux prairies (par exemple les bisons favorisés par les amérindiens).  En Australie, la gestion de l’écosystème par les aborigènes des plaines désertiques permet de concentrer la fertilité dans certaines zones1. La culture sur abatti-brûli, considérée comme une sauvagerie, est en fait une gestion fine de l’écosystème, pour peu que les observateurs européens arrivent à voir les jardins dans la jungle, créés par les amérindiens2, et que les peuples maitrisent leur démographie pour rendre le modèle durable.

La seconde grande évolution est celle de la révolution néolithique, pendant laquelle l’Homme a commencé à domestiquer des espèces sauvages. Parmi elles, la plus importante pour nous a sans aucun doute été le blé, fondateur des premiers empires, ancêtres de notre empire occidental. La principale caractéristique de l’agriculture est qu’elle s’appuie sur une ou plusieurs espèces annuelles. De ce fait, les agriculteurs doivent adapter l’écologie de la nature environnante à celle de leurs espèces domestiquées. Or le blé est une plante opportuniste qui colonise les bords de rivières périodiquement inondés et chargés d’alluvions charriés par le courant3. Les grains de blé nous indiquent l’écologie de la plante : stocker de quoi assurer sa descendance avant que les espèces plus matures ne prennent le relais, et attendre qu’une autre catastrophe ne laisse une nouvelle opportunité. Une civilisation fondée sur le blé doit donc perpétuellement bloquer la succession écologique, reproduisant des catastrophes par le labour, et la fertilité alluvionnaire par des engrais naturels ou minéraux. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le biotope primaire de bon nombre des « mauvaises herbes » de nos champs soit des vallées alluviales ou des marécages4.

Le rapport à la nature

Après avoir précisé ma définition de la nature, ainsi que quelques considérations sur la relation entre les Hommes et la manière dont ils obtiennent leur nourriture, je peux enfin passer à la véritable question, celle de notre rapport à la nature, et des enseignements du passé pour reconsidérer notre futur.

L’agriculture — Commençons par le plus simple : les conséquences de l’agriculture sur notre rapport à la nature. Le champ de blé étant rarement compatible avec la forêt, cette dernière est rasée pour faire place aux cultures annuelles. Il convient au passage de noter que l’étymologie du mot « forêt » renvoie au bas-latin foresta, qui signifie « ban », et qui donnera entre autre en italien le mot forestiere, « l’étranger ».
L’agriculture est un combat permanent contre la nature, qui réclame une succession écologique vers le climax associé au biotope, chez nous une forêt. Elle doit combattre les médecins du sol, qui cherchent à stopper l’hémorragie ouverte qu’est un champ laissé nu après un labour, exposé aux attaques érosives des éléments. L’opposition la plus fondamentale entre l’agriculture et la nature est que moins il y a de nature, mieux se porte l’agriculture. Du moins jusqu’à un certain point, avant que les déforestations n’entrainent sécheresses, inondations et érosion qui ont anéanti tant de civilisations. En effet lorsqu’on abat une partie de forêt, on fait de la place pour les cultures, mais on supprime aussi les nuisances potentielles que sont les animaux et les végétaux sauvages qui ravagent les cultures. Une perte de biodiversité est compatible avec l’agriculture, et cette dernière n’est rien d’autre qu’une perte de biodiversité. L’apparente diversité des variétés créées par l’agriculture traditionnelle, et perdue par l’agriculture industrielle, ne peut masquer la perte de la diversité d’espèces que l’humanité consommait avant la révolution néolithique. L’agriculture marque donc clairement une distinction de l’Homme a la nature, et un combat permanent contre cette dernière.

Avant l’agriculture — Mais qu’en était-il pour les humains pré-agricoles ? La réponse est plus nuancée. Brûler une partie du paysage n’est pas anodin, et pourrait être légitimement pris pour une guerre à la nature. Cependant l’exemple des aborigènes montre que cela peut augmenter la fertilité en la concentrant au dépend des zones moins fertiles. Cette stratégie permet, comme chez les amérindiens, de favoriser des étapes de la succession plus propices à l’Homme, les arbres fruitiers par exemple étant plus héliophiles que les espèces climaciques. Mais contrairement aux agriculteurs, les peuples sauvages ne portent pas le fardeau de bloquer la succession à une étape donnée. Ils favorisent un état qui les favorise, mais ne s’accaparent pas un espace dont il revendique un droit d’usage unique.

La deuxième stratégie que j’ai citée concernant les peuples tribaux est celle de la forêt comestible. Ici, les Hommes redirigent habilement la succession en plantant des espèces utiles. La différence entre brûler une forêt et planter des arbres d’un côté, et labourer et planter des céréales de l’autre ne saute pas aux yeux de prime abord. Revenir à la métaphore du théâtre va me permettre de clarifier les choses. Dans le cas de l’agriculture, l’agriculteur devient metteur en scène et fait recommencer la pièce à la fin du premier acte.
Dans l’autre cas, la stratégie primitive consiste à changer les acteurs qui jouent la pièce, pour en sélectionner d’autres qui lui plaisent plus. Le point important ici est que dans le deuxième cas, la pièce se joue : le scénario (évolution) et la représentation (la nature) sont respectées. L’agriculture, elle, ne permet pas à la représentation de se jouer, l’agriculteur ne veut pas respecter le script, et il est obligé de recommencer la pièce à chaque fois qu’elle sort de ses propres plans.

Après l’agriculture — Voici une dizaine de siècles que la civilisation s’étend sur le monde, et annule les représentations qui se jouaient localement. Notre troupe théâtrale La Civilisation et ses franchises ont mis au chômage les artistes locaux, qui disparaissent plus ou moins rapidement quand ils n’ont tous bonnement pas déjà disparus. Même le souvenir de l’histoire qui se jouait dans ce théâtre s’est estompé. Il est grand temps de rejouer la pièce, à partir du script originel, en piochant éventuellement quelques accessoires empruntés aux troupes franchisées.

Ce que je viens de décrire n’est rien de plus que la permaculture. Cette dernière est un creuset dans lequel se mélangent une vision tribale du monde, des techniques traditionnelles et un contexte moderne. Il faut utiliser nos connaissances en écologie non seulement pour comprendre, mais aussi pour élaborer des systèmes qui nous permettront de vivre pleinement. L’écologie est une pierre de Rosette qui nous permet de déchiffrer en grande partie le scénario de la pièce, écrit dans un très vieux langage dont notre civilisation a perdu la signification. Nous pouvons aussi tenter de comprendre le scénario en apprenant des rares humains qui le jouent encore, les tribus de chasseurs-cueilleurs modernes, qui connaissent encore le langage originel.

Il nous reste peu de temps avant que le déclin énergétique ne réduise peu à peu notre marge de manœuvre. Nous avons besoin rapidement d’une révolution culturelle centrée sur la nature et non plus l’humain qui nous conduira à une révolution agricole, à moins que ce ne soit l’inverse.

La forêt nourricière tempérée

La forêt nourricière ou comestible de Robert Hart, en Angleterre, est (était) la première connue du genre en milieu tempéré. Ce type d’écosystème cultivé est le meilleur exemple de ce que pourrait être une méthode de culture alimentaire qui laisse s’exprimer les forces de la nature, orientées ou colorées par la main de l’Homme. Un système stable et productif, particulièrement bien adapté à la descente énergétique à venir, et qui nous reconnecte à la beauté de nos origines arboricoles. Un parfum de jardin d’Eden ?

Notes & références

  1. Aboriginal Land Use, David Holmgren. Collected writings & Presentations 1978-2006 — Article Four.
  2. Beyond Wilderness, Toby Hemenway. Permaculture Activist n° 51.
  3. Against the Grain: How Agriculture Has Hijacked Civilization, Richard Manning.
  4. Encyclopédie des plantes bio-indicatrice,  Gérard Ducerf. Vol. 1.